Dommages punitifs : interprétation de la Cour suprême
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Dommages punitifs : interprétation de la Cour suprême

Lors des litiges sur les droits de PI, entre autres objectifs, le montant potentiel de dommages et intérêts est un facteur important à considérer pour les plaignants. En Chine, au cours de ces dernières années, les dommages et intérêts accordés par les cours ont connu une croissance sensible. En parallèle, un outil relativement nouveau a fait grand bruit : les dommages et intérêts punitifs.

Nous vous proposons, pour commencer, un petit rappel chronologique de l’introduction de ce mécanisme dans différentes lois de la PI en Chine. Après sa première apparition dans la loi des marques en 2013, les révisions des lois principales de la PI depuis 2019 ont toutes intégré cette clause. De plus, le facteur multiplicatif a été harmonisé de 1 à 5 fois.

Chronologie de l’introduction des dommages et intérêts punitifs

Afin de mieux guider les juges et d’harmoniser les jurisprudences à une grande échelle, la Cour suprême a publié, comme à son habitude, son interprétation judiciaire à ce sujet en mars 2021, ainsi que 6 affaires exemplaires. Ces textes donnent des indications précises sur la façon dont ces nouvelles règles doivent être appliquées.

 Liste des affaires exemplaires, incluant le facteur multiplicatif appliqué et le montant total

1 affaire Secret d’affaires :

  • « Kabo » Guangzhou Tianci c/ Anhui Niuman – 2019, Cour Suprême  ; 5 fois, 4,2M€

5 affaires Marques :

  • ERDOS Group c/ MIQI Industry – 2015, Cour de PI Pékin ; 2 fois, 27k €
  • Xiaomi c/ Povos – 2019, Cour Supérieure de Jiangsu ; 3 fois, 7M€
  • WULIANGYE Group c/ XU Zhonghua, etc – 2020, Cour de Hangzhou ; 2 fois, 277k€
  • Adidas c/ Ruan et al. – 2020, Cour de Wenzhou ; 3 fois, 143k€
  • OPPLE c/ Huasheng – 2019, Cour Supéreieure de Canton ; 3 fois, 531 k€

On remarque ici que, la nouvelle loi de brevets n’étant officiellement entrée en vigueur qu’en juin 2021, il n’existait pas encore d’affaires relatives aux brevets au moment de la sélection des affaires exemplaires.

Conditions d’application des dommages et intérêts punitifs

Dans l’interprétation judiciaire, pour commencer, la Cour suprême prévoit, dans son premier article, le principe selon lequel, pour réclamer des dommages punitifs, il faut que deux conditions soient remplies :

1) le contrefacteur porte atteinte intentionnellement aux droits de la victime, et

2) les circonstances sont graves.

Il convient également de préciser que la demande de dommages punitifs doit être soumise lors de la procédure de première instance, au plus tard avant la fin des débats de première instance. Cette demande doit être accompagnée du montant précis de dommages et intérêts demandé et de la méthode de calcul, ainsi que des raisons et des preuves appuyant la demande. A noter que, si la demande est soumise uniquement en 2e instance, la cour pourra demander aux parties de débuter une médiation, et en cas d’échec, le titulaire pourra former un nouveau litige.

Qualification du caractère intentionnel de la violation

De plus, dans le cadre de l’article 1 de l’interprétation, la Cour suprême précise que la notion de caractère « intentionnel » comprend celle de « mauvaise foi » utilisée dans la loi des marques et la loi contre la concurrence déloyale. Il faut noter que, avant même l’introduction de la notion de dommages et intérêts punitifs dans les lois, ces deux facteurs ont souvent été pris en compte dans la jurisprudence pour déterminer un montant discrétionnaire de dommages et intérêts.

Dans son article 3, l’interprétation indique les facteurs à considérer pour apprécier le caractère intentionnel de la violation. Cette condition étant subjective, en pratique, il faut souvent la déduire des preuves existantes. L’article 3 permet de matérialiser cette condition et donne plusieurs cas de figure dans lesquels on peut décider que la contrefaçon est réalisée de façon intentionnelle, c’est-à-dire en toute conscience.

On peut classer ces cas de figure en deux grandes catégories :

– l’une correspond à la situation dans laquelle le contrefacteur a été notifié de l’existence du droit, par le titulaire ou par les autorités ;

– l’autre est déduite de la relation entre le défendeur et le plaignant.

L’interprétation précise ainsi :

Pour déterminer la violation intentionnelle des droits de propriété intellectuelle, le tribunal populaire doit examiner de manière globale des facteurs tels que le type de droits de propriété intellectuelle violés, le statut des droits, la popularité des produits concernés et la relation entre le défendeur et le plaignant ou les parties intéressées.

(1) Le défendeur continue à commettre l’infraction après avoir été notifié ou averti par le plaignant ou l’intéressé ;

(2) Le défendeur ou son représentant légal ou gérant est le représentant légal, gérant ou la personne ayant un contrôle effectif sur le plaignant ou l’intéressé ;

(3) Le défendeur a des relations de travail, de coopération, de licence, de distribution, d’agence, de représentation, etc., avec le plaignant ou les parties intéressées, et a été en contact avec la propriété intellectuelle violée ;

(4) Le défendeur a des relations d’affaires ou a négocié pour la conclusion de contrats avec le plaignant ou des parties intéressées, et a été en contact avec la propriété intellectuelle violée ;

(5) Le défendeur a commis des actes de piratage ou de contrefaçon à l’identique de marques enregistrées ;

(6) Autres circonstances pouvant être considérées comme intentionnelles.

On note que cette règle a laissé ouverte la prise en compte d’autres circonstances dans lesquelles le caractère intentionnel de la violation peut être reconnu. Ainsi, la jurisprudence a depuis estimé que la condition était remplie dans les circonstances suivantes :

– le défendeur est un opérateur du même secteur que le demandeur et la marque concernée est très connue dans ce secteur ;

– le défendeur continue à utiliser des signes pertinents après le rejet de sa demande d’enregistrement de marque ou l’invalidation de sa marque ;

– le défendeur a imité ou plagié entièrement les marques et les produits du demandeur ;

réitération de la contrefaçon après la conclusion d’un accord de règlement, d’un accord de médiation ou d’un jugement effectif avec le demandeur.

Qualification du caractère grave des circonstances

L’article 4 précise comment déterminer le caractère grave des circonstances de la violation, qui est la condition objective pour déterminer l’application possible de dommages punitifs.

  1. Pour la détermination d’une violation grave des droits de propriété intellectuelle, le tribunal populaire examinera de manière globale la méthode et la réitération de la violation, la durée, l’étendue géographique, l’ampleur et les conséquences de la violation, ainsi que le comportement du contrefacteur lors du procès.

(1) Commettre à nouveau la même infraction ou une infraction similaire, après avoir été puni par une sanction administrative ou une décision de justice pour contrefaçon ;

(2) Avoir comme activité principale la violation des droits de propriété intellectuelle ;

(3) Falsifier, détruire ou dissimuler des preuves de contrefaçon ;

(4) Refus d’exécuter une injonction ou des mesures conservatoires de preuves/biens ordonnées par la Cour ;

(5) Le profit gagné par le biais de la contrefaçon est énorme ou le titulaire du droit subit d’énormes pertes ;

(6) L’infraction peut mettre en danger la sécurité nationale, l’intérêt public ou la santé personnelle ;

(7) Autres circonstances pouvant être considérées comme graves.

De façon similaire à la première condition, d’autres circonstances que celles listées peuvent être considérées comme graves, par exemple, comme on a pu le voir dans les affaires exemplaires :

– si l’infraction a causé un préjudice grave à la bonne réputation, à la part de marché, etc., du titulaire du droit, il s’agit de circonstances graves, comme cela a été considéré dans les affaires Xiaomi et Oppel (lampes), dans lesquelles certains produits étaient de mauvaise qualité ;

– si le défendeur empêche l’obtention de preuve, comme c’était le cas dans l’affaire de secrets d’affaires Kabo, puisque le contrefacteur a refusé la demande de la Cour de fournir ses comptes, pour des raisons non valables.

Détermination du montant des dommages et intérêts punitifs

Enfin, pour déterminer le montant des dommages et intérêts punitifs, il convient de multiplier la « valeur de base » par un multiplicateur. Il est précisé dans l’article 5 que la valeur de base correspond au montant de dommages calculé de façon classique, c’est-à-dire, les pertes réelles du plaignant ou gains illégaux/profit tirés. Si ces montants sont difficiles à calculer, la valeur de base peut également être le montant de la redevance applicable si une licence avait été accordée. Toutefois, il faut noter que cette valeur de base ne peut inclure les dépenses pour faire cesser l’infraction (notamment les frais d’avocat, etc.).

Relevons que, dans les 6 affaires exemplaires, la valeur de base adoptée correspondait aux valeurs suivantes :

– les pertes réelles ont été adoptées dans une seule affaire, celle d’Adidas ;

– le profit tiré a été adopté dans quatre affaires ;

– le multiple de redevance a été adopté dans une affaire, celui des lampes (Oppel).

De plus, cette règle fait également appel au renversement de la charge de preuve en précisant : « si le défendeur refuse de fournir ses informations comptables, ou fournit de fausses informations comptables, la Cour peut se référer aux réclamations et preuves du plaignant pour déterminer la valeur de base ».

Le facteur multiplicatif reste l’élément le plus flou. Selon l’article 6 de l’interprétation, il est déterminé en considérant de manière globale les facteurs applicables, qui sont le degré de faute subjective et la gravité de l’infraction. De plus, lorsqu’une amende administrative ou pénale a été infligée pour la même infraction et que son exécution a eu lieu, la cour peut pleinement la prendre en compte lors de la détermination du multiplicateur. En réalité, il y a toujours une marge discrétionnaire laissée aux juges. Par exemple, dans l’affaire Kabo, le facteur multiplicatif a été fixé à 2,5 fois en 1re instance, puis corrigé à 5 fois par la Cour suprême, en considérant le degré de faute subjective et la gravité de l’infraction. Dans l’affaire Xiaomi, ce facteur a également été ajusté à la hausse, de 2 fois à 3 fois en 2e instance.

 

La Chine a pendant longtemps eu la réputation d’allouer des dommages et intérêts d’un montant relativement faible, notamment dû aux difficultés d’accès aux preuves par les victimes de violation de propriété intellectuelle. Au cours de ces dernières années, on a pu voir se dessiner une tendance très nette d’augmentation du montant des dommages et intérêts alloués. L’introduction des dommages et intérêts punitifs s’inscrit dans cette tendance et devrait permettre de dissuader de potentiels comportements illicites.

Article rédigé par Jing ZHAO