Contrefaçon de marque, pourquoi pas l’action pénale ?
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Contrefaçon de marque, pourquoi pas l’action pénale ?

L’exemple de l’affaire STIHL

Quelles sont les stratégies de défense possibles pour un titulaire de droits de propriété intellectuelle (PI) faisant face à une violation de ses droits en Chine ? Sur ce blog, nous parlons souvent des recours administratifs, des poursuites civiles ou encore des saisies douanières. Mais qu’en est-il des poursuites pénales ? En effet, en Chine comme en France, la production et la vente de produits de contrefaçon constituent un délit pénal, qui peut donner lieu à une action pénale.

Comment cela fonctionne-t-il dans les faits ? Qui peut lancer une action pénale ? La victime peut-elle se porter partie civile ? Quels sont les avantages et les inconvénients de la voie pénale par rapport à la voie civile ?

Pour répondre à ces questions, nous prendrons l’exemple d’un procès pénal impliquant l’entreprise allemande STIHL. Cette société, dont les déboires judiciaires en matière de PI ont déjà été mentionnés sur notre blog, est une société spécialisée dans les outils de bricolage. La société STHIL fabrique en particulier des tronçonneuses.

L’affaire en question opposait STIHL et une famille d’industriels chinois basée dans la province du Zhejiang. Depuis de nombreuses années, cette famille, opérant via plusieurs entreprises au gré des procédures judiciaires et administratives, fabriquait et commercialisait des produits contrefaisant les tronçonneuses de STIHL.

La Cour de Yuyao, saisie de cette affaire, a rendu, en présence de nombreux officiels chinois, une décision très médiatisée en 2021. En effet, dans le cadre de sa décision, elle a accepté l’action civile incidente de STIHL et a prononcé des peines de prison de 2 à 3 ans à l’encontre des défendeurs, ainsi que des dommages et intérêts de 500 000 CNY (environ 70 000 euros) pour STIHL. Cette affaire, qui a été listée parmi les dix affaires exemplaires de la province du Zhejiang en 2021, est l’occasion de répondre aux questions que nos lecteurs pourraient se poser sur les poursuites pénales en Chine.

Qui peut engager des poursuites pénales et devant quelle juridiction ?

L’organe qui peut engager des poursuites pénales dans les tribunaux en Chine est le Procureur.  Celui-ci peut être saisi de plusieurs façons.

Tout d’abord, le titulaire de droits de PI peut signaler une violation de ses droits au Bureau de Sécurité Publique (PSB), à savoir la police. Suite à ce signalement, la police peut décider d’ouvrir une enquête. Pour mener son enquête, elle détient un pouvoir d’investigation important, lui permettant notamment de détenir des suspects et de les interroger (sous réserve de l’approbation préalable du Procureur), mais aussi d’inspecter leurs locaux sans restriction. La police peut également se saisir elle-même et procéder aux investigations de son propre chef.

Si la police estime qu’elle est bien en présence d’un délit pénal, elle transmet le dossier au parquet compétent afin de débuter la procédure pénale. Les affaires pénales relatives à la PI sont d’abord entendues par les tribunaux pénaux des cours compétentes, à savoir les cours du lieu de l’infraction. Les cours au niveau infra-provincial servent généralement de juridictions de première instance.

À noter que la victime d’une infraction pénale peut également décider de débuter une poursuite pénale privée (« private prosecution »), mais que cette procédure est rarement utilisée. En effet, sans le pouvoir coercitif du PSB, le plaignant rencontre généralement de grandes difficultés à réunir les preuves nécessaires pour prouver le délit pénal.

Dans l’affaire STIHL, les services du PSB ont procédé, en janvier 2020, à l’arrestation des accusés (le représentant légal ainsi que les responsables de la production et des ventes de la société Ningbo Lushi Saw Chain Technology Co., Ltd.) ainsi qu’à la saisie des produits suspectés de contrefaçon, boîtes d’emballage et équipements de production. Les accusés ont avoué les faits de contrefaçon lors des interrogatoires de l’enquête menée par le PSB. Le PSB a alors transmis le dossier au parquet du tribunal pénal de la Cour de Yuyao afin de débuter la procédure judiciaire pénale.

Quelles sont les conditions pour engager des poursuites pénales ?

Pour engager des poursuites pénales contre un contrefacteur, son comportement doit être qualifié de délit de contrefaçon et, pour ce faire, la contrefaçon doit être particulièrement grave. Relevons qu’il s’agit là d’une spécificité chinoise : dans la plupart des pays, le niveau de gravité n’intervient que dans la détermination de la peine.

Selon la loi pénale chinoise, pour qu’un délit de contrefaçon de marque soit qualifié, la contrefaçon doit en général avoir atteint un seuil de valeur minimum. Ainsi, pour les affaires de marques, la valeur des produits contrefaits doit être supérieure à 50 000 CNY (environ 7 000 euros) ou le contrefacteur doit avoir obtenu des bénéfices supérieurs à 30 000 CNY (environ 4 300 euros).

Par ailleurs, d’autres conditions peuvent s’appliquer selon le type de droits concernés par la violation. Exemple : pour qu’une contrefaçon de marque soit qualifiée de délit pénal, l’article 213 de la loi pénale précise que la marque utilisée par le contrefacteur doit être identique à la marque du titulaire. Cependant, ce critère a été quelque peu assoupli suite à la publication de l’Interprétation judiciaire de la Cour suprême et du parquet sur plusieurs questions concernant l’application spécifique de la loi dans le traitement des affaires pénales de violation des droits de PI (III) (l’interprétation judiciaire), entrée en vigueur le 14 septembre 2020. En effet, ce texte liste un certain nombre de circonstances dans lesquelles, même si la marque utilisée n’est pas strictement identique à la marque de la victime, le délit pénal peut être qualifié. En particulier, ce sera le cas lorsque la marque du contrefacteur ne présente pas de différence substantielle avec la marque enregistrée et est , à elle seule, de nature à tromper le public.

Dans l’affaire STIHL, le tribunal a estimé que les défendeurs avaient utilisé, sans l’autorisation de la société STIHL, une marque identique à la marque déposée par STIHL et dans des circonstances particulièrement graves. En effet, la contrefaçon concernait plus de 19 000 tronçonneuses portant la marque STIHL, dont la valeur était estimée à 225 000 CNY. Par conséquent, le tribunal a estimé que les faits étaient suffisamment sérieux pour constituer un délit de contrefaçon.

Est-il possible pour la victime de se porter partie civile et d’obtenir ainsi une indemnisation de son préjudice ?

En théorie, il est possible pour la victime de se porter partie civile en déposant une action civile incidente, et ce, conformément à l’article 101 du Code de procédure pénale (révisé en 2018) qui prévoit la disposition suivante : Une victime qui subit des pertes matérielles du fait des infractions pénales du défendeur a le droit d’intenter une action civile incidente au cours de la procédure pénale.

Dans le cadre de l’affaire STIHL, la Cour a estimé que STIHL subissait bien des « pertes matérielles » du fait des actes de contrefaçon et donc que son action civile pouvait être acceptée. Cependant, cette position adoptée par la Cour dans cette affaire est relativement rare et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle a été particulièrement médiatisée. Jusqu’alors, la plupart des tribunaux pénaux refusaient systématiquement les actions civiles incidentes dans les affaires concernant la PI, qui était considérée comme un actif incorporel qui ne pouvait pas être détruit.

Nous estimons que cette décision marque une nouvelle tendance des tribunaux chinois dans leur acceptation des actions civiles incidentes dans les procès en contrefaçon.

Quelles sanctions en cas de délit pénal de contrefaçon ?

Le tribunal, s’il confirme la qualification de délit pénal de contrefaçon, pourra prononcer les sanctions prévues par les articles 213 à 215 de la loi pénale chinoise, à savoir, notamment des amendes, des peines de prison, des injonctions, ainsi que la confiscation et la destruction des produits de contrefaçon.

Relevons que ces sanctions ont fait l’objet de modifications lors de la dernière révision de la loi pénale chinoise entrée en vigueur le 1er mars 2021. En particulier, le plafond des peines de prison a été augmenté et est désormais fixé à 10 ans (contre 7 dans la version précédente de la loi).

Concernant les peines d’emprisonnement, leur durée peut donc être fixée entre 3 et 10 ans. Dans le cas où le délit pénal est constitué d’une utilisation de marque déposée sans l’autorisation du titulaire, selon la loi pénale chinoise, le tribunal pourra prononcer une peine de prison de 3 ans au plus lorsque les circonstances sont « sérieuses » ou de 3 à 10 ans lorsque les circonstances sont jugées « particulièrement graves ».

Concernant les amendes, il est toujours difficile d’en estimer le montant. En effet, dans les affaires pénales, ce montant doit tenir compte de nombreux facteurs, prévus par l’article 10 de l’interprétation judiciaire, à savoir : le montant des gains illégaux tirés de l’infraction, le montant des opérations commerciales illégales, le montant des pertes causées au titulaire du droit, le nombre d’articles contrefaits et l’impact sur la société.

L’interprétation judiciaire prévoit également que le montant de l’amende doit normalement être compris entre une et cinq fois le revenu gagné illégalement. S’il n’est pas possible d’identifier les gains illicites, le montant de l’amende sera compris entre 50 et 100 % du volume d’opérations commerciales de l’entreprise contrefaisante. Si les revenus illégaux et le volume des affaires ne peuvent être établis, l’auteur de l’infraction est condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans maximum et à une amende comprise entre 30 000 et 1 million de CNY. Quant aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de plus de 3 ans, elles devront payer une amende comprise entre 150 000 et 5 millions de CNY.

Dans l’affaire STIHL, la société défenderesse a été condamnée à payer une amende de 120 000 CNY. Les personnes physiques impliquées dans la contrefaçon ont, quant à elles, été condamnées à des amendes allant de 80 000 à 120 000 CNY ainsi qu’à des peines de prison de 2 à 3 ans. Relevons que les défendeurs ont tous plaidé coupable, ce qui a pu constituer une circonstance d’atténuation de la peine, comme cela est prévu à l’article 9 de l’interprétation judiciaire.

Dans l’hypothèse où l’action civile de la victime est acceptée, quel montant celle-ci peut-elle espérer obtenir pour compenser son préjudice ?

Dans cette hypothèse, le tribunal fixe l’indemnisation en application de l’article 63 de la loi sur les marques, disposition qui est la même que celle appliquée dans les procédures civiles. Pour rappel, l’article 63 prévoit que le montant de dommages et intérêts doit être fondé sur le préjudice subi par la victime en raison de la contrefaçon. Si le préjudice réel est difficile à déterminer, le juge prendra en compte les bénéfices obtenus par le contrefacteur, et si ce montant est également difficile à déterminer, alors le montant de redevances servira de base de calcul. Relevons également que la dernière révision de la loi des marques a augmenté le plafond statutaire d’indemnisation à 5 millions de CNY, applicable lorsque les montants exacts ne peuvent pas être prouvés et que les juges doivent alors estimer le montant d’indemnisation en fonction des circonstances de l’affaire.

Dans l’affaire STIHL, la société défenderesse a été condamnée à indemniser la société STIHL de ses pertes économiques à hauteur de 500 000 CNY (comprenant les dépenses raisonnables engagées par la société pour faire cesser l’infraction).

Quels sont les avantages et les inconvénients de la voie pénale ?

Tout d’abord, en termes d’avantages, les sanctions qui peuvent être prononcées à l’encontre des contrefacteurs dans le cadre d’une procédure pénale sont plus complètes et sévères que celles de la procédure civile. En particulier, cette voie est la seule permettant la prononciation de peines de prison. Face à des contrefacteurs personnes physiques qui n’hésitent pas à créer de nouvelles entités juridiques pour récidiver malgré leur condamnation, les peines de prison ont un effet bien plus dissuasif que l’octroi de dommages et intérêts dans le cadre d’une procédure civile.

 Pour ce qui est des inconvénients, tout d’abord, il faut noter que le seuil pour déclencher les poursuites pénales est relativement élevé. De plus, une enquête privée préliminaire financée par la victime est souvent nécessaire pour obtenir suffisamment de preuves sur le volume de la contrefaçon. Enfin, la gestion de la procédure pénale, et notamment la collaboration avec la police et le procureur, est en général un travail plus lourd que celui à mettre en œuvre dans une procédure civile. Cependant, lorsqu’il s’agit d’éliminer un contrefacteur professionnel ou récidiviste qui porte atteinte de manière sérieuse aux intérêts de la victime, la procédure pénale reste un moyen d’attaque efficace.

Face à une violation de ses droits en Chine, rappelons qu’il est crucial pour une entreprise étrangère comme pour une entreprise chinoise de choisir la stratégie de défense qui lui convient le mieux, en prenant en compte les faits en cause mais également les avantages et les inconvénients de chaque action possible. Comme nous l’expliquons souvent sur notre blog, il n’y a pas de stratégie type applicable à toutes les situations. Ce choix doit être fait en connaissance de cause et accompagné par un expert de la propriété intellectuelle en Chine.

Article rédigé par Audrey DRUMMOND