Dépôt frauduleux par l’agent du titulaire légitime de la marque
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Dépôt frauduleux par l’agent du titulaire légitime de la marque

Analyse de l’article 15 de la loi des marques

Nous traitons très régulièrement sur ce blog du phénomène de squattage de marque en Chine. Pour rappel, il s’agit du dépôt, par des entreprises ou particuliers chinois, de marques, connues ou non, réalisé non pas dans l’intention de les utiliser mais à des fins de revente, généralement à prix élevés. La Chine mène depuis plusieurs années de nombreuses actions pour lutter contre ce type de comportements qui constitue aujourd’hui un réel obstacle au développement d’un environnement d’affaires propice aux entreprises chinoises et étrangères. Vous pouvez notamment consulter notre dernier article sur les mesures prises par les autorités chinoises pour lutter contre ce phénomène.

Mais qu’en est-il de la situation où le déposant n’est pas un squatteur typique de marques mais une personne que le titulaire légitime de la marque connaît et avec laquelle il entretient des relations d’affaires, et notamment des relations d’agent ? La loi chinoise des marques prévoit des dispositions particulières applicables à ce cas de figure. Il s’agit des dispositions de l’article 15, qui a été créé lors de la révision de la loi en 2001 puis complété en 2014. Cet article est très fréquemment utilisé comme motif d’opposition et de nullité, et s’avère très utile pour les entreprises étrangères, lorsque les conditions de son application sont remplies.

Avec les articles 13.2 et 32, l’article 15 permet une protection des marques non enregistrées en Chine, qui, bien qu’elle connaisse un développement certain ces dernières années, reste exceptionnelle en raison notamment des difficultés à apporter les preuves nécessaires à son application.

L’article 15 de la loi des marques prévoit les dispositions suivantes :

(1) Dans le cas où un agent ou un représentant dépose en son nom une demande d’enregistrement de la marque de son client sans l’autorisation du client et fait face à une objection du client, cette marque ne doit pas être enregistrée et son utilisation par l’agent ou le représentant doit être interdite.

(2) Lorsqu’un déposant dépose une marque identique ou similaire à une marque non enregistrée précédemment utilisée par un tiers désignant des produits identiques ou similaires et que le déposant a connaissance ou devait avoir connaissance de ladite marque en raison d’un accord contractuel, d’une relation d’affaires ou d’une relation autre que celles prescrites dans le paragraphe précédent, la marque déposée ne devrait pas être enregistrée si le tiers s’y oppose.

Le dépôt d’une marque par un agent ou un représentant du titulaire – paragraphe 1 de l’article 15

Dans le paragraphe 1 de l’article 15, c’est la relation agent/représentant et mandant qui est visée. L’application de cette disposition a donné lieu à plusieurs difficultés d’interprétation que nous allons analyser.

« Agent / représentant »

Tout d’abord, concernant la qualification d’ « agent » ou de « représentant », relevons que, pendant un certain temps, ces termes furent interprétés de façon restrictive, et permettaient uniquement de couvrir la relation entre un agent de marques et son client. Cependant, la Cour suprême, dans le cadre de la décision Toubao Xiling rendue en 2008 a étendu cette interprétation afin de la rendre conforme aux dispositions de la Convention de Paris dont la Chine est signataire. Le terme d’agent inclut désormais les distributeurs exclusifs, agents de vente, et tout autre relation semblable.

Preuve de la relation d’agent

La relation d’agent doit être prouvée par le demandeur dans le cadre d’une opposition ou action en nullité, à savoir la personne qui estime être le titulaire légitime de la marque. Pour prouver la relation d’agence, la fourniture d’un contrat signé par les deux parties est idéale. Il arrive cependant qu’aucun contrat n’ait été signé. Dans ce cas, bien entendu, d’autres preuves peuvent satisfaire les autorités chinoises, par exemple la fourniture d’ordres d’achat successifs sur plusieurs années, de factures, des échanges d’email permettant de démontrer les relations d’agent, etc.

Le contenu du contrat prévaut

Dans l’affaire Jiang Xiao Bai, citée parmi les affaires typiques de la Cour suprême pour l’année 2020, la Cour suprême a indiqué que les preuves fournies par le demandeur dans l’action en nullité permettaient effectivement de prouver la relation d’agent et donc la possible application de l’article 15. Cependant, et comme l’invoquait le défendeur, les deux parties avaient signé un accord, qui spécifiait clairement que les droits développés dans le cadre du contrat, et notamment les marques, étaient détenus par le défendeur. Le contrat conclu entre les parties primant sur la règle de l’article 15, le déposant de la marque était dans son droit lorsqu’il a déposé la marque.

« Autorisation » du mandant

Concernant la question de l’autorisation du mandant, qui est nécessaire pour que l’agent puisse déposer la marque en son nom propre, celle-ci doit être explicite. Par exemple, dans le cas où le mandant autorise l’agent à déposer la marque mais sans indiquer à quel nom, l’autorisation n’est pas explicite et ne peut être considérée comme autorisant le dépôt au nom de l’agent. Dans l’affaire Miji Electronic Appliances (Shanghai) Co. Ltd c/ TRAB, le mandant savait que la marque litigieuse avait été déposée par le distributeur et il n’avait pas formé opposition pendant le délai requis. Le distributeur faisait valoir qu’un tel comportement constituait une autorisation tacite. La Cour a adopté un point de vue différent, précisant que l’omission du mandant ne pouvait être interprétée comme autorisant le distributeur à enregistre la marque en son propre nom.

Dépôt d’une marque par un tiers ayant connaissance de son usage antérieur par une relation commerciale ou contractuelle – paragraphe 2 de l’article 15

Le paragraphe 2 a été ajouté lors de la révision de la loi en 2013 pour compléter les lacunes du paragaphe 1.

Pour rappel, il prévoit : Lorsqu’un déposant dépose une marque identique ou similaire à une marque non enregistrée précédemment utilisée par un tiers désignant des produits identiques ou similaires et que le déposant a connaissance ou devait avoir connaissance de ladite marque en raison d’un accord contractuel, d’une relation d’affaires ou d’une autre relation que celles prescrites dans le paragraphe précédent, la marque déposée ne devrait pas être enregistrée si le tiers s’y oppose.

Alors que certains termes « produits identiques ou similaires », « relations contractuelles ou d’affaires », « marques de tiers » sont relativement claires et ont donné lieu à peu de litiges sur leur interprétation, les concepts d’ « usage antérieur », « autres relations » ou encore « a connaissance ou devait avoir connaissance » sont plus incertains et laissent la place à des interprétations différentes.

« Usage antérieur »

Tout d’abord, concernant l’exigence de l’usage antérieur, relevons que celle-ci ne doit pas être interprétée comme une exigence de réputation ou d’usage avec un certain degré d’influence. Un simple « usage de marque », réalisé antérieurement au dépôt par le déposant suffit. De la même façon que pour le paragraphe 1 de l’article 15, c’est le demandeur qui a la charge de prouver l’existence d’un usage antérieur.

L’ « usage de marque » a fait l’objet d’une interprétation par la Cour suprême dans sa décision HONDA c/ Heng Sheng Group et Heng Sheng Xin Tai (2019 Minzai n°138) dont vous pouvez retrouver notre analyse ici. Selon la Cour suprême, un « usage de marque » peut être constitué par l’utilisation de la marque par un étiquetage ou autre marquage sur des produits fabriqués ou transformés (Cour suprême 2019 numéro 138). Elle précise également qu’à partir du moment où l’utilisation de la marque permet de distinguer la source des produits, alors la condition d’usage de marque est remplie. Les Critères de contrefaçon de marques publiés par la CNIPA en 2020 donnent également une liste exhaustive d’usages de marque acceptés par la CNIPA et les cours chinoises et incluent notamment l’usage de la marque sur des produits non encore commercialisés mais en cours de préparation en vue d’une mise sur le marché chinois.

Par ailleurs, concernant la question du lieu dans lequel l’usage antérieur doit être prouvé, sujet d’une grande importance pour les sociétés étrangères, selon les directives sur les affaires administratives relatives aux marques publiées par la Haute Cour de Pékin en avril 2019, la partie qui souhaite se prévaloir des dispositions du paragraphe 2 doit fournir des preuves d’utilisation antérieure de la marque en Chine continentale. Les preuves d’utilisation dans d’autres pays ou territoires démontrant que la partie se prépare à utiliser la marque en Chine continentale pourront être prises en compte comme preuves complémentaires mais ne suffisent pas en tant que telles. Cette interprétation de la Haute Cour de Pékin est critiquable car, pour ce qui concerne les entités étrangères souhaitant se développer en Chine, le dépôt de mauvaise foi a généralement lieu lorsqu’une relation commerciale entre l’entité étrangère et une entité chinoise est en cours de formation. Par conséquent, dans ce type de situation, la marque de l’entité étrangère est utilisée pour la première fois en Chine par l’entité chinoise. Dans de telles circonstances, il parait difficile d’apporter les preuves nécessaires pour obtenir l’application de l’article 15.2.

Enfin, l’usage antérieur de marque doit concerner des produits/services identiques ou similaires conformément à la classification en vigueur en Chine. La question de savoir comment juger si les produits ou services sont similaires est généralement compliquée en Chine en raison du système de sous-classes. Le demandeur doit prouver la similitude de fonction ou la relation étroite entre les produits/services et, si les produits de l’adversaire ne sont pas considérés comme similaires aux produits fournis par le demandeur conformément au système de sous-classes en Chine, le risque de confusion parmi le public pertinent. Dans certaines affaires, l’article 15 a été jugé inapplicable en raison de la dissimilarité des produits du demandeur et du défenseur, alors même que les produits en question étaient étroitement liés.

« Autre relation »

Selon l’interprétation judiciaire de la Cour Suprême ainsi que les Critères de contrefaçon de marques de la CNIPA, le terme « autre relation » peut inclure notamment les relations familiales et les relations de travail. La jurisprudence a également montré qu’en cas de négociations commerciales avortées ou encore dans des situations de proximité géographique d’adresses commerciales entre les parties, l’article 15 pouvait s’appliquer.

« Connaissait ou devait connaître » l’existence de la marque

Enfin, il convient pour le demandeur de démontrer que le déposant d’une marque litigieuse connaissait ou devait connaître sa marque non enregistrée. Cette condition est également ardue à prouver et, en particulier, l’évaluation de la condition selon laquelle le défendeur « devait connaître » la marque comporte une dimension subjective importante et a pu donner lieu à des décisions divergentes. Les directives de la Haute Cour de Pékin de 2019 ont apporté des clarifications bienvenues quant aux critères à prendre en compte :

– le déposant de la marque et le titulaire de la marque antérieure appartiennent au même secteur d’activités ;

– ils sont en contact pour discuter d’un éventuel transfert de la marque ;

– le déposant de la marque a commis des actes de contrefaçon ;

– la marque antérieure a un fort caractère distinctif ;

– les marques sont similaires.

Une situation de proximité géographique d’adresses commerciales peut également permettre de prouver que le défendeur « connaissait ou devait connaître » l’existence de la marque. Ce critère a cependant donné lieu à des jugements différents. Dans certaines affaires, le fait pour le demandeur et le défendeur de résider dans la même province a été jugé suffisant, alors que, dans d’autres décisions, le fait de résider dans la même ville ne suffisait pas. On peut cependant en déduire que ce facteur de proximité doit être combiné avec d’autres facteurs comme l’originalité du signe en question, le degré de similitude, etc.

Conclusion

L’article 15 est un motif d’opposition et d’invalidation utile pour lutter contre certains dépôts frauduleux de marques. Comme on a pu le voir, les conditions pour que ces dispositions puissent s’appliquer sont nombreuses et la charge de la preuve pèse sur le demandeur de l’action en opposition ou en nullité.

Pour obtenir cette protection, il est donc essentiel pour les titulaires de marques de préserver les éléments de preuve lorsqu’ils traitent avec des agents et dans le cadre de relations commerciales ou contractuelles.

Article rédigé par , Audrey DRUMMOND