Vers la fin des lettres de consentement en marques ?
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Vers la fin des lettres de consentement en marques ?

La pratique des administrations et des cours chinoises évolue.

Une lettre de consentement de marque (aussi appelée accord de coexistence) est une lettre émise par le titulaire d’une marque antérieure au bénéfice du déposant d’une marque qui a vu sa demande bloquée par cette même marque antérieure. Rappelons en effet que l’Office chinois des marques (CTMO) effectue une recherche d’antériorité lors de l’examen de la demande et peut donc refuser l’enregistrement si la marque est identique ou similaire à une marque antérieure désignant des produits/services identiques ou similaires.

Selon les termes de ce document, le titulaire de la marque déclare qu’il accepte la coexistence de la marque bloquée et de sa propre marque. Les lettres de consentement sont considérées depuis plusieurs années comme un élément déterminant dans la stratégie mise en place par les déposants pour surmonter un refus de marque. Or, plusieurs décisions récentes rendues par la Cour suprême chinoise laissent à penser que cette tendance est en train d’évoluer et que les autorités chinoises sont de plus en plus rigoureuses dans la vérification des conditions d’acceptation de telles lettres.

Dans quelle circonstance une lettre de consentement est-elle généralement établie ?

Si une marque est refusée par le CTMO, le déposant est en droit de former un recours en réexamen devant le Bureau de révision des marques (TRAB) avant l’expiration du délai officiel. Dans le cas où la décision du CTMO est fondée sur l’existence de marques antérieures similaires, le déposant peut alors envisager de négocier avec le titulaire des marques citées pour obtenir de sa part une lettre de consentement. Si les deux parties parviennent à un accord et le déposant obtient la lettre, il pourra la soumettre au TRAB dans la procédure de recours en réexamen pour solliciter l’approbation de sa demande de marque.

Les lettres de consentement doivent-elles être acceptées ?

Pour répondre à cette question, deux approches existent et doivent être conciliées.

D’une part, on peut considérer que, les droits de marque étant des droits privés, le titulaire de ces droits doit pouvoir en disposer librement, et les autorités doivent donc respecter la volonté du titulaire de la marque citée antérieure lorsque celui-ci décide qu’une marque tierce n’est pas similaire à sa propre marque et que leur coexistence ne causera pas de confusion.

D’autre part, on peut également prendre en compte le fait que l’objectif de la loi des marques est de protéger non seulement les intérêts des titulaires de marques, mais également ceux des consommateurs. Ainsi, même si les titulaires de marques peuvent disposer de leurs droits, de telles dispositions ne peuvent pas nuire aux intérêts des consommateurs. Si la coexistence est acceptée par le titulaire de marque, mais que cette coexistence concerne des marques similaires visant des produits ou services similaires, alors elle peut entraîner une confusion chez les consommateurs, ce qui peut conduire à une identification erronée de produits ou services par les consommateurs. Par conséquent, pour la protection des droits et des intérêts des consommateurs, une lettre de consentement ne doit pas être un motif systématique d’approbation de l’enregistrement d’une marque.

D’une certaine tolérance dans la prise en compte des lettres de consentement …

Au cours de ces dernières années, les autorités et les cours chinoises étaient de plus en plus enclines à accepter les lettres de consentement, malgré quelques divergences, comme nous l’expliquions dans un précédent article.

Ainsi, dans une décision Weimeng c/ TRAB en 2016, la Cour de propriété intellectuelle de Pékin prenait position sur le sujet en indiquant les critères posés pour accepter une lettre de consentement, à savoir que les marques doivent présenter des différences dans leur présentation générale et que l’enregistrement des deux marques ne doit pas causer de confusion pour le public. Dans une affaire NEXUS en 2017, la Cour suprême de Chine indiquait également qu’octroyer son consentement est une façon pour le titulaire de marque de disposer de ses droits et doit être respecté sauf si cela est contraire à l’intérêt du pays, de la société et des tiers. En l’espèce, la lettre de consentement avait été acceptée alors même que les marques NEXUS étaient deux marques figuratives similaires et désignaient des produits identiques et similaires. Cette décision a eu pour effet de conforter la pratique des lettres de consentement, considérée alors par les praticiens comme un élément important dans la stratégie mise en place par les déposants pour surmonter un refus de marque.

… vers plus de rigueur de la part des autorités et cours chinoises

Cependant, des affaires plus récentes en 2020 et 2021 montrent que cette tendance évolue vers plus de rigueur de la part des autorités et des cours chinoises. Ainsi, dans l’affaire ALMAT & ALMAY, la société allemande ALDI a adressé une requête à la Cour suprême suite au rejet de sa demande de marque « ALMAT ». Pour motiver le refus provisoire de cette marque, le CNIPA avait cité la marque antérieure « ALMAY » détenue par la société REVLON. Malgré la lettre de consentement fournie par REVLON, ALDI avait perdu ses recours administratif et judiciaires auprès du TRAB puis de la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin et de la Cour supérieure de Pékin. Ces organes ont tous estimé que les deux marques étaient similaires et ont donc refusé d’accepter la lettre de consentement. La Cour suprême a indiqué à cette occasion que, bien que le droit de marque soit un droit privé, on ne peut en disposer de façon arbitraire comme d’autres droits de propriété. Si deux marques sont étroitement similaires et visent des produits similaires, il est possible que cela induise le public en erreur quant à la source des produits. Ainsi, permettre aux deux marques de coexister serait susceptible de porter atteinte à la fonction d’identification de la marque et aux intérêts des consommateurs. Dans le cas d’espèce, la Cour suprême a estimé que la marque contestée « ALMAT » était étroitement similaire à la marque citée « ALMAY » et désignait des produits similaires. Par conséquent, il existait un risque de confusion du public et, la lettre de consentement de REVLON ne pouvant éliminer ce risque de confusion, elle ne devait pas être acceptée.

Relevons que cette affaire a été sélectionnée par la Cour suprême parmi les affaires typiques de propriété intellectuelle de l’année 2020, ce qui semble indiquer que cette rigueur sera désormais la norme en la matière. Ainsi, dans plusieurs affaires en 2021, on a pu voir que les lettres de consentement fournies par les déposants n’étaient pas prises en compte lorsque les deux marques en question différaient d’une lettre, comme c’est le cas pour ALMAT et ALMAY. La prudence s’impose donc désormais pour les praticiens et les déposants de marque qui souhaiteraient se prévaloir d’une lettre de consentement.

Article rédigé par LIN Jun du cabinet LLR China