Refus de coopération d’un contrefacteur dans la saisie de preuves : que faire ?
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Refus de coopération d’un contrefacteur dans la saisie de preuves : que faire ?

Commentaire sur l’affaire Dassault Systems Solidworks c/ HTJD

Il est inutile de souligner l’importance des preuves de contrefaçon tant pour la qualification de ce délit que pour la détermination du montant des dommages-intérêts. Pourtant, les difficultés dans l’obtention des preuves de contrefaçon demeurent une grande préoccupation pour les titulaires de droits de la propriété intellectuelle. Etant donné que les preuves de contrefaçon, et en particulier les documents financiers liés aux activités de contrefaçon, sont généralement en la possession des contrefacteurs et que les victimes n’ont donc pas de moyen d’y accéder, le législateur chinois et la Cour Suprême chinoise ont prévu des règles pénalisant les contrefacteurs qui refusent de fournir des informations ou de coopérer dans la saisie de preuves. C’est ainsi que la société Dassault Systems Solidworks (ci-après Dassault Systems) a obtenu entièrement gain de cause concernant sa demande de dommages-intérêts dans une affaire de contrefaçon de logiciel devant une cour chinoise.

Dans cette affaire, la société HTJD (ci-après le contrefacteur) opérait dans le domaine de la fabrication et de la commercialisation de machines et d’équipement de construction. Dassault Systems a réuni des éléments de preuve électroniques démontrant l’installation et l’utilisation de son logiciel SOLIDWORKS par le contrefacteur, et notamment une annonce de recrutement publiée par le contrefacteur exigeant la maîtrise de ce logiciel. Sur demande de Dassault Systems, la Cour intermédiaire de Ji’nan, capitale de la province du Shandong (région jumelée à la Bretagne), a ordonné une saisie de preuve dans les locaux du défendeur, telle que prévue par le droit chinois.

De manière surprenante, le défendeur refuse de coopérer avec le greffier et les experts techniques de la Cour et va jusqu’à retirer les processeurs de 33 ordinateurs. Finalement, la Cour a pu saisir 44 ordinateurs avec processeurs et a constaté qu’un quart de ces ordinateurs étaient équipés du logiciel SOLIDWORKS. Comme il est impossible de vérifier la présence  du logiciel dans les 33 autres ordinateurs dont le processeur avait été retiré, la Cour a décidé qu’il convenait de présumer que le logiciel en question avait été installé sur l’intégralité de ces 33 ordinateurs. Par conséquent, la Cour a comptabilisé 44 logiciels contrefaits par le défendeur, qui a été condamné à payer 1,86 million CNY (plus de 270 000 euros) à Dassault Systems à titre de dommages-intérêts. De plus, la Cour a infligé une amende de 50 000 CNY (environ 7 270 euros) au défendeur pour punir son comportement illégal de destruction des preuves de contrefaçon.

Le contrefacteur a fait appel de la décision rendue en mai 2021 devant le Tribunal de la propriété intellectuelle près de la Cour suprême chinoise, juridiction d’appel pour toutes les décisions concernant la contrefaçon de propriété intellectuelle ayant un caractère technique, tels que les brevets, les logiciels, les secrets d’affaires, les variétés végétales, etc. L’appel a été rejeté par la Cour suprême en novembre 2021.

Cette affaire a été classée parmi les dix affaires exemplaires de la Cour intermédiaire de Ji’nan en 2021. Il s’agit en fait de la mise en œuvre des règles prévues par le Décret judiciaire de la Cour suprême (n° 2020-12) du 16 novembre 2020 concernant les preuves dans les procédures civiles en matière de propriété intellectuelle. Selon l’article 13 de ce décret judiciaire, si une partie refuse de coopérer à la saisie de preuve ou perturbe la saisie de preuve de façon à l’entraver, la cour peut décider que cette partie doit assumer les conséquences qui lui sont défavorables. Dans cette affaire, la Cour de Ji’nan a décidé que la conséquence défavorable correspondait à une présomption de contrefaçon pour chaque ordinateur dont l’installation avait été effectuée par le défendeur, ce qui constitue une application stricte de cette règle en faveur de la victime de la contrefaçon.

Par ailleurs, l’article 54 alinéa 4 de la loi chinoise sur le droit d’auteur révisée en 2020 prévoit que, si un titulaire de droit a épuisé les moyens d’obtention de preuve et que le défendeur refuse de fournir les preuves (telles que des documents financiers), les cours peuvent décider du montant des dommages-intérêts en tenant compte de la réclamation du titulaire de droits et des preuves qu’il a fournies. Cette règle donne davantage de pouvoir aux juges chinois en matière de détermination du montant des dommages-intérêts et ce d’une manière favorable aux victimes de contrefaçon et pénalisant les contrefacteurs de mauvaise foi.

Pour les sociétés victimes de contrefaçon, il convient donc de réunir autant de preuves que possible, avec tous les moyens qui leur sont disponibles. Cela leur permettra non seulement d’augmenter les chances de persuader les juges chinois de prendre des mesures de saisie de preuve, mais aussi d’établir des repères pour les juges dans leur détermination du montant de la perte subie ou du bénéfice illégal, de façon à ce qu’ils puissent prononcer un montant de dommages-intérêts défavorables aux contrefacteurs.

Article rédigé par Shujie Feng.