Lutte contre la concurrence déloyale en Chine
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Lutte contre la concurrence déloyale en Chine

Les clarifications de l’interprétation de 2022

Une nouvelle interprétation judiciaire est récemment venue renforcer l’arsenal juridique chinois dans le domaine de la lutte contre la concurrence déloyale. Adopté par la Cour suprême, ce texte, qui a vocation à fournir aux juges chinois des directives leur permettant d’appliquer de façon uniforme la loi chinoise contre la concurrence déloyale, est entré en vigueur le 20 mars 2022.

L’interprétation vient replacer la dernière interprétation publiée par la Cour suprême en 2006. Elle apporte des clarifications importantes sur des questions variées telles que les conditions d’application de l’article 2 de la loi, le concept de règles déontologiques des affaires ou la détermination des actes de confusion.

Sa mise en œuvre revêt une grande importance pour permettre le renforcement du système judiciaire dans la lutte contre la concurrence déloyale. L’interprétation confirme le rôle grandissant de la loi contre la concurrence déloyale comme base juridique dans les litiges civils, et en particulier son article 2, sur lequel nous allons revenir en détail.

1) Clarification des conditions d’application de l’article 2 de la loi

L’article 2 de la loi contre la concurrence déloyale, dans son deuxième paragraphe, définit l’acte de concurrence déloyale comme le fait pour un opérateur commercial de perturber l’ordre de la concurrence sur le marché et de porter atteinte aux droits et intérêts légitimes des autres opérateurs commerciaux ou des consommateurs.

Un peu plus loin, on trouve au chapitre II de la loi une liste des actes de concurrence déloyale, qui inclut notamment la confusion (article 6), la publicité mensongère (article 8), le vol de secrets d’affaires (article 9) ou la diffamation (article 11).

La question de l’articulation de l’article 2 avec ces différentes règles se posait donc, tout comme celle de son articulation avec les règles prévues par les lois dites spéciales (telles que la loi sur les brevets, la loi sur les marques ou la loi sur le droit d’auteur).

L’interprétation vient clarifier cette situation : lorsqu’un opérateur commercial perturbe l’ordre de la concurrence sur le marché, porte atteinte aux droits et intérêts légitimes d’autres opérateurs commerciaux ou des consommateurs, sans enfreindre les dispositions du chapitre II de la loi ni celles des lois spéciales, les tribunaux peuvent alors appliquer l’article 2.

Il s’agit d’une clarification importante pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles. Lorsque l’acte litigieux ne remplit pas les conditions prévues par les règles du chapitre II, il est tout de même possible de se fonder sur l’article 2 de la loi. Or les cours étaient jusqu’alors réticentes à accepter des affaires fondées uniquement sur l’article 2, sans référence spécifique à un des actes décrits dans le chapitre II.

2) Clarification du concept de « règles déontologiques des affaires »

Le concept de « règles déontologiques des affaires » apparaît également dans l’article 2 de la loi, qui énonce l’obligation générale pour les opérateurs commerciaux d’adhérer aux principes de libre arbitre, d’égalité, d’équité et de bonne foi, et de respecter les lois et les règles déontologiques des affaires.

Le terme de « règles déontologiques des affaires » peut appeler diverses interprétations. La Cour suprême, dans son interprétation, prévoit des directives pour déterminer de quoi sont constituées les règles déontologiques des affaires. Elle indique ainsi que ces règles doivent être interprétées comme un code de conduite généralement suivi et reconnu dans un domaine commercial spécifique plutôt que comme des normes déontologiques courantes. Les tribunaux doivent ainsi, à la lumière des circonstances spécifiques de l’affaire, examiner des facteurs tels que les règles de l’industrie ou les pratiques commerciales. Ils peuvent également se référer aux normes professionnelles, aux normes techniques, aux conventions d’autodiscipline formulées par les autorités compétentes du secteur, les associations professionnelles ou les organisations d’autodiscipline.

3) Clarifications concernant les actes de confusion de l’article 6 de la loi

L‘interprétation apporte des précisions permettant d’appliquer l’article 6 de la loi contre la concurrence déloyale.

Selon l’article 6 de la loi, les opérateurs commerciaux ne doivent pas commettre d’actes de confusion de nature à induire le public en erreur, en donnant l’impression que leurs produits proviennent d’autres opérateurs commerciaux ou ont un lien particulier avec d’autres opérateurs commerciaux. L’article 6 liste les actes de confusion interdits, tels que l’utilisation de noms, emballages ou décorations de produits ayant une certaine influence appartenant à une autre entité commerciale, l’utilisation de noms d’entreprises, d’organisations sociales ou de personnes physiques ayant une certaine influence appartenant à un tiers, ou encore l’utilisation d’un site internet ayant une certaine influence appartenant à un tiers, etc.

L’interprétation reprend les clarifications apportées à la fois par la dernière interprétation de 2006 et par la jurisprudence concernant le critère de « certaine influence », condition de l’obtention de la protection de l’article 6. Elle indique que les tribunaux peuvent décider qu’un signe bénéficie d’une « certaine influence » lorsque : (i) il jouit d’une certaine réputation sur le marché chinois et (ii) il présente des caractéristiques remarquables permettant de distinguer la source du produit. L’interprétation précise également que, lorsque les tribunaux déterminent si un signe jouit d’une certaine réputation sur le marché, ils doivent tenir compte de facteurs variés tels que le degré de connaissance du public concerné en Chine, la durée et l’étendue géographique des ventes, le montant des ventes, la durée et l’étendue de la publicité, etc.

Concernant le nom d’entreprise, il est intéressant de noter que l’interprétation reprend la jurisprudence existante sur le sujet et confirme que le nom d’entreprise d’une entreprise étrangère légalement enregistrée qui est utilisé à des fins commerciales en Chine peut être reconnu par les tribunaux comme un « nom d’entreprise » bénéficiant de la protection de l’article 6 de la loi, sous réserve bien entendu de remplir la condition de « certaine influence ».

L’interprétation précise également la façon dont s’articulent l’article 6 de la loi contre la concurrence déloyale et l’article 10 (1) de la loi des marques. Pour rappel, cette dernière disposition liste les signes dont l’utilisation en tant que marque est interdite. L’interprétation indique que, si un signe protégeable par l’article 6 de la loi (ou son élément distinctif) correspond à un signe dont l’utilisation en tant que marque est interdite par l’article 10 (1) de la loi de marques, et que l’intéressé demande sa protection conformément aux dispositions de l’article 6, le tribunal ne doit pas soutenir sa demande.

 

A un moment où, comme nous l’avons relaté à plusieurs reprises sur notre blog, de plus en plus de titulaires, lorsqu’ils ne parviennent pas à obtenir gain de cause sur la base de leurs droits de PI, se tournent vers la loi contre la concurrence déloyale pour obtenir une protection de leurs intérêts face à des contrefacteurs, les clarifications apportées par l’interprétation de la Cour suprême sont bienvenues. Elles devraient permettre aux juges chinois d’appliquer la loi avec davantage de cohérence, et donc une meilleure prévisibilité pour les victimes de pratiques anticoncurrentielles.

Article rédigé par LIN Jun du cabinet LLR China