Lutter contre le squattage de sa marque : le privilège des grandes entreprises ?
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Lutter contre le squattage de sa marque : le privilège des grandes entreprises ?

Les médias se font régulièrement l’écho de victoires de sociétés étrangères face à des squatteurs de marque en Chine, présentées comme les signes d’une amélioration dans la lutte contre ce phénomène par les autorités chinoises. Notre blog ne fait pas exception, et nous avons ainsi traité de nombreuses affaires impliquant les marques Lafite, Michael Jordan, New Balance, Uniqlo, Bulgari, et bien d’autres.

Bien souvent, ces victoires ont un point commun : elles concernent des marques détenues par de grandes sociétés, bénéficiant donc d’une notoriété parfois importante sur le territoire chinois, mais également des ressources nécessaires pour lutter contre le squattage de leur marque.

Qu’en est-il des plus petites entreprises ? En effet, le squattage de marque ne touche malheureusement pas que les grandes marques. Chaque année, de nombreuses PME françaises en sont également victimes. Elles le découvrent généralement lorsqu’elles commencent à s’intéresser au marché chinois et décident de déposer leur marque.

Ces dernières années, les autorités chinoises ont pris des mesures fortes pour lutter contre le squattage de marque. En particulier, le dernier amendement de la loi sur les marques en 2019 prévoit désormais explicitement, dans son article 4, que toutes les demandes de marque n’ayant pas pour intention d’être utilisées, et donc déposées de mauvaise foi, doivent être rejetées. Cet article vise donc la pratique du « squattage de marque », mais également celle de « stockage de marque », qui consiste en l’accumulation de marques dans le but de les revendre.

Ainsi, idéalement, les marques de tiers déposées frauduleusement devraient être rejetées au stade de l’examen par les examinateurs de l’Office chinois des marques. Dans la réalité, c’est très rarement le cas, les examinateurs devant traiter un nombre grandissant de demandes de marque tout en respectant des délais d’examen de plus en plus courts. Il y a donc très peu de chances que la marque d’une entreprise étrangère, qui plus est non notoire, attire suffisamment l’attention d’un examinateur pour qu’elle fasse l’objet d’un rejet lors de l’examen.

Par conséquent, ce sont les victimes de squattage de marque qui doivent supporter le poids des procédures pour récupérer leurs marques, des procédures qui sont d’autant plus longues et coûteuses que les squatteurs de marque développent de nouvelles stratégies pour faire perdurer leurs pratiques.

Nous vous proposons de passer en revue les options qui existent pour les victimes de marques squattées, tout en soulignant les difficultés qu’elles posent pour les petites entreprises.

Racheter la marque au squatteur ?

Tout d’abord, pour récupérer sa marque, une première option consiste à racheter la marque au squatteur. Dans cette hypothèse, la victime et le squatteur vont signer un accord de cession par lequel le squatteur cède la marque à la victime et la victime paye une compensation au squatteur.

Il s’agit là de la voie la plus rapide pour récupérer une marque déposée frauduleusement. Cependant, elle pose problème pour plusieurs raisons, la première tenant tout simplement à une question d’éthique, puisque le rachat des marques squattées fait perdurer cette pratique illégale. Par ailleurs, cette voie a généralement un coût très élevé, à la hauteur des demandes du squatteur, ce qui en fait une option peu compatible avec le budget serré des petites entreprises.

Obtenir l’annulation de la marque frauduleuse

La deuxième voie possible pour récupérer une marque consiste à obtenir son annulation et à la déposer en son nom propre.

Pour obtenir l’annulation de la marque, plusieurs possibilités existent : l’opposition (si la période d’opposition de la marque est toujours en cours), l’action en invalidation (si la marque a déjà été enregistrée) et l’action en déchéance (pour les marques enregistrées depuis plus de 3 ans).

Dans le cadre des deux premiers recours, il est possible d’invoquer l’interdiction des dépôts de mauvaise foi telle que prévue par la dernière révision de la loi. Cependant, dans les faits, il est préférable de pouvoir cumuler ce fondement avec d’autres dispositions légales, un recours basé uniquement sur le comportement frauduleux du déposant ayant peu de chances d’aboutir. En effet, prouver que le déposant est un squatteur de marques n’est pas suffisant, il convient également de prouver que la marque squattée appartient bien à la victime, et pour cela, le demandeur pourra s’appuyer, par exemple, sur l’existence d’un droit antérieur en Chine (à savoir un titre de PI, tel qu’une marque ou un copyright) ou encore la réputation de la marque en Chine. Or, pour une PME qui commence tout juste à s’intéresser au marché chinois, et qui n’a donc déposé aucun droit et ne commercialise pas encore ses produits en Chine, il sera difficile de fournir des preuves suffisantes en la matière.

Pour ce qui concerne l’action en déchéance, cette procédure permet d’obtenir l’annulation d’une marque que son titulaire n’utilise pas. C’est généralement le cas des déposants de mauvaise foi, puisqu’ils ne déposent les marques que pour pouvoir les revendre. Vous pouvez retrouver notre article décrivant la procédure de déchéance ici. Cependant, relevons que certains déposants frauduleux, voyant l’intérêt de la victime pour la marque squattée, vont essayer de la défendre dans le cadre de l’action en déchéance. Ainsi, on a pu voir une recrudescence d’affaires dans lesquelles les squatteurs de marque n’hésitent pas à déposer des preuves falsifiées à l’Office des marques afin d’obtenir le maintien de leur marque. Nous en parlions récemment dans un article disponible ici.

Des squatteurs de marque toujours plus inventifs

De façon générale, nous sommes témoins ces dernières années d’une évolution dans les pratiques de squattage de marque, probablement en réponse à la lutte dont ils font l’objet. Les squatteurs adaptent leurs stratégies et n’hésitent pas à se défendre et à utiliser les éventuelles failles de certains dossiers. Évoquons notamment l’exemple courant des squatteurs qui redéposent les marques squattées dès qu’ils apprennent que des actions ont été déposées pour annuler les marques, ce qui leur permet de bénéficier d’une nouvelle antériorité si la victime tarde à déposer elle-même sa demande de marque.

Ces pratiques visent bien entendu les entreprises de toutes tailles, de façon non distincte. Cependant, on peut imaginer que ce type de « rebondissements » dans la procédure est un coup dur pour les PME car il a pour conséquence de les obliger à relancer de nouvelles procédures et donc à faire face à encore davantage de coûts, sans aucune garantie d’obtenir finalement gain de cause. Dans un tel contexte, certaines entreprises finissent par jeter l’éponge, alors même qu’elles ont parfois dépensé des sommes importantes pour récupérer leur marque.

Par ailleurs, la pratique de l’Office chinois des marques et du Bureau de révision, qui consiste à refuser la suspension des procédures d’enregistrement de marques, et donc à prendre ses décisions sans attendre le résultat des éventuelles actions connexes déposées à l’encontre de la marque squattée, a également pour conséquence d’obliger les victimes de squattage à déposer des procédures de recours supplémentaires, en espérant obtenir finalement l’enregistrement de leur marque.

Mais, le squattage de marque étant une pratique interdite par la loi, n’est-il pas possible d’agir contre le squatteur et d’obtenir le paiement d’une compensation de sa part, tout au moins des frais de procédure acquittés pour récupérer la marque ? C’est en principe effectivement possible, et on a pu voir, ces dernières années, plusieurs affaires dans lesquelles des sociétés étrangères ont obtenu le remboursement des frais de procédure (affaire Bridgestone), et même des dommages et intérêts sur la base du droit des marques (affaire Bayer) ou du droit contre la concurrence déloyale (affaire Brita). Cependant, pour obtenir une telle compensation, il faut agir devant les cours chinoises, dans le cadre d’une procédure qui est différente des procédures administratives évoquées plus haut. Cela demande donc à nouveau du temps et de l’argent, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde, les noms de ces affaires nous le rappellent. De plus, une fois la décision obtenue, encore faut-il qu’elle soit appliquée et notamment que le squatteur puisse payer les montants prononcés. Or, certains squatteurs sont des déposants individuels ou exercent leur activité dans le cadre de petites structures qui ont tôt fait d’être déclarées insolvables.

Relevons également qu’il est possible de demander à ce que le déposant frauduleux soit inscrit sur la liste noire de l’Office chinois de la PI. Cette inscription, qui est réalisée à la discrétion de l’Office, permet en principe que les éventuels futurs dépôts effectués par le déposant soient rejetés dès le stade de l’examen, l’idée étant donc d’éviter qu’il ne récidive. A noter, cependant, que cette liste n’est pas publique, et qu’une fois la demande d’inscription sur liste noire déposée, l’Office ne communique aucune information sur l’éventuel succès de la démarche.

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A la lecture de cet article, on voit bien à quel point il n’est pas aisé, une fois que sa marque a été squattée, de réussir à la récupérer. L’obtention d’une compensation par le squatteur reste encore de l’ordre de l’anecdotique, ce qui est bien dommage car une condamnation plus généralisée des squatteurs de marque pourrait avoir un effet dissuasif sur ces pratiques frauduleuses.

On se saurait trop le rappeler, la meilleure stratégie reste la prévention. Seul un dépôt de marque en Chine réalisé en amont de votre projet de développement dans ce pays vous permettra de vous protéger contre le squattage de marque.

Article rédigé par Audrey DRUMMOND