Le « Trademark squatting » ou comment se faire prendre sa marque

Parmi les dépôts frauduleux de marque se trouve, nous l’avons vu, le « marque squattage » (ou « trademark squatting »). Il s’agit du dépôt par un tiers d’une marque ayant une certaine renommée, alors que vous n’avez pas forcément de lien avec lui.

Les déposants pratiquant de tels dépôts sont souvent des spéculateurs qui visent à s’approprier des marques qui ne sont pas encore déposées, mais déjà exploitées et disposant d’une certaine renommée en Chine.

Ce phénomène est souvent dû à la négligence des sociétés qui commencent à se développer sur le marché chinois : elles concentrent au début toute leur énergie à essayer de percer sur le marché et ne se soucient pas à ce stade de déposer leurs marques. Il arrive même de croiser des sociétés étrangères qui souhaiteraient être copiées ( !), se faisant la réflexion que le fait d’être copiées est le signe que l’on a fait un grand chemin, le marché chinois étant connu pour sa difficulté d’accès.

Malheureusement pour les marques comme pour les brevets, c’est souvent avant toute commercialisation qu’il faut procéder aux dépôts. Après, il est souvent trop tard.

Certes, il est possible de former une opposition contre un tel dépôt frauduleux.  Néanmoins d’une part il faut en avoir connaissance à temps (dans les trois mois de la publication de la marque frauduleuse), d’autre part il faut parvenir à prouver qu’il s’agit d’un « marque squattage ». La charge de la preuve incombe au titulaire réel. En général, il suffit de prouver que la marque a été exploitée de manière raisonnable dans certaines régions du continent chinois et que le déposant frauduleux se trouve ou a ses activités dans la région.

Plus particulièrement dans le cas de « marque squattage », les spéculateurs s’empressent souvent de déposer la translittération chinoise d’une marque en lettres latines.

En effet, la majorité des consommateurs chinois ne sont pas familiarisés avec les langues étrangères et les caractères latins, il s’avère donc important, voire nécessaire, de déterminer et protéger l’équivalent en caractères chinois d’une marque en lettres latines. Toutefois, les titulaires occidentaux négligent souvent cette précaution importante, et cela laisse le champ libre à des spéculateurs pour déposer des translittérations chinoises avant eux. Afin de pouvoir s’opposer à cet agissement, le titulaire doit apporter des preuves abondantes pour établir l’existence d’un lien unique entre la translittération chinoise et sa marque occidentale antérieure, et ce avant la date du dépôt frauduleux, alors que cette condition est en pratique difficile à remplir.

Aussi il est important qu’une société qui souhaite protéger sa marque en Chine pense à protéger les différentes translittérations possibles de la marque. Car toute marque qui ne sera pas déposée en amont pourra être déposée par un concurrent. Or, un concurrent qui aura choisi une translittération plus vendeuse pour les consommateurs aura peut-être plus de succès avec sa translittération que la vôtre, et vous n’aurez pas la possibilité de l’empêcher de l’utiliser. Des marques célèbres ont fait cette expérience.

Ainsi, la loi chinoise prévoit certes des dispositions pour lutter contre les dépôts frauduleux, néanmoins le moyen le plus efficace pour les éviter est d’anticiper en déposant votre marque, y compris dans différentes versions en caractères chinois, et de prendre date dès le début de votre projet.

De l’utilité des modèles en Chine

Les modèles d’utilité, ou « petits brevets », présentent un certain nombres de qualités dont certaines sont plutôt méconnues des étrangers, voir notre article sur ce sujet.

MU flouté

Tout d’abord, il s’agit de titres obtenus à coûts relativement faibles : comme il n’y a pas d’examen sur le fond, les échanges avec l’office ne concernent généralement que des questions relativement formelles, donc des coûts de procédure plus faibles. Certes, nous constatons qu’il arrive quelquefois que l’office chinois soulève des objections de nouveauté, lorsque la demande de modèle d’utilité est issue d’une demande internationale PCT dans laquelle le rapport de recherche internationale cite des documents pertinents, mais généralement nous parvenons à surmonter ces objections assez aisément.

Du fait de cet examen formel, outre les coûts amoindris, la procédure donne lieu de façon quasi-systématique à la délivrance du modèle. A la différence pour une demande de brevet, un examinateur non convaincu peut rejeter la demande, qui ne donne lieu alors à aucune protection.

Par ailleurs, la délivrance a lieu très rapidement, moins d’un an après le dépôt normalement (à comparer aux deux à cinq ans pour une procédure de brevet). Cette délivrance fait acte de publication de la demande. Ainsi la publication intervient généralement dans les 6 à 12 mois après le dépôt, donc avant le délai de 18 mois prévu pour les demandes de brevets. Cette publication rapide est particulièrement intéressante pour informer des contrefacteurs potentiels de l’existence d’un titre, voire pour agir contre eux. La publication rapide est d’autant plus intéressante qu’en Chine, la copie d’une technologie peut être très rapide (il n’est pas inhabituel de voir des copies en seulement quelques mois, voire semaines, après le lancement d’un produit sur le marché).

Ainsi le modèle d’utilité peut clairement avoir la fonction d’un épouvantail rapidement opérationnel, permettant d’assurer une protection de transition avant la délivrance d’un brevet sur le produit.

Enfin, parmi les autres points forts que nous identifions pour le modèle d’utilité : il peut, paradoxalement, être plus difficile à invalider qu’un brevet. Tout particulièrement pour les innovations dont l’activité inventive est légère ou délicate à démontrer. Cette différence entre les conditions de validité d’un modèle d’utilité et d’un brevet fait l’objet d’un autre article.

Malgré tous le avantages identifiés ci-dessus, n’oublions pas toutefois que l’utilisation des modèles utilité présente ses limites : la durée maximale de vie d’un modèle d’utilité est de 10 ans à compter de sa date de dépôt (à comparer aux classiques 20 ans pour un brevet d’invention).

Par ailleurs, seules certaines inventions peuvent être protégées par un modèle d’utilité. Principalement, seules les caractéristiques structurelles, visibles, peuvent être protégées. Par exemple, il n’est généralement pas possible de revendiquer un procédé, une microstructure ou une composition de matière.

Enfin, ayons bien à l’esprit qu’un modèle d’utilité, n’ayant pas subi d’examen de fond, peut se voir invalider plus tard en cours d’action judiciaire ou administrative, car un examen sur le fond sera probablement effectué et pourra révéler des lacunes qui n’avaient pas été considérées au cours de l’examen formel de délivrance du modèle d’utilité.

Compte tenu de ces limites, la décision de protéger une invention par l’intermédiaire d’un modèle d’utilité à la place d’un brevet doit être prise avec discernement, au cas par cas en fonction des inventions.

L’idéal, pour les inventions revêtant une certaine importance, est de viser une double protection, à la fois par un modèle d’utilité et un brevet. La façon d’y parvenir n’est pas toujours évidente car la loi prévoit des dispositions empêchant une pure coexistence de deux protections exactement identiques. Néanmoins, c’est possible, cela fera l’objet d’un prochain article.

 

L’utilité des modèles méconnue des étrangers

Les sociétés étrangères qui veulent protéger leurs innovations en Chine procèdent généralement à des dépôts de demandes de brevet, en suivant les mêmes réflexes de protection qu’en Europe ou aux États-Unis. Pourtant, il existe une autre voie de protection des innovations en Chine, souvent méconnue ou mal comprise par les occidentaux : le modèle d’utilité (« utility model patent« ).

On le surnomme généralement « le petit brevet », car il n’a une durée maximale de vie que de 10 ans, il est plus économique et très facile à obtenir : un simple examen de forme suffit.

A la différence,  le brevet d’invention (« invention patent« ) a les caractéristiques classiques des brevets, il est vu comme « le vrai brevet », semblable à celui que l’on retrouve dans la plupart des pays : il peut vivre jusqu’à 20 ans et subit un examen de fond avant sa délivrance.

Il arrive certes que les occidentaux passent par des modèles d’utilité, mais les cas sont très rares, et c’est généralement pour protéger des inventions jugées mineures, de façon principalement à limiter les coûts (le modèle d’utilité étant moins cher) et à obtenir une délivrance certaine.

Les chiffres parlent d’aux-même, voici un exemple montrant la proportion de dépôts de demandes de modèles d’utilité réalisés par des étrangers en 2010, en comparaison avec les dépôts de demandes de brevet (données publiées sur le site du SIPO, l’office des brevets chinois) :

pourcentage MU

Ainsi, 0.6% seulement des modèles d’utilité chinois sont déposés par des occidentaux. Et pourtant, le SIPO reçoit davantage de demandes de modèles d’utilité que de demandes de brevet.

Pourtant, on aurait tort de sous-estimer le dépôt de modèles d’utilité et de le réserver uniquement aux cas dans lesquels l’invention est mineure.

En effet, un modèle d’utilité peut être une arme puissante, non seulement parce qu’elle permet d’obtenir une protection à moindre coût, mais également parce qu’elle permet d’obtenir un titre qui peut être plus difficile à invalider qu’un brevet. Les avantages des modèles d’utilité feront d’ailleurs l’objet d’un prochain article.

Nous pouvons nous demander pourquoi les étrangers n’utilisent pas ce système, pourtant tellement utilisé par les chinois, et alors qu’ils passent couramment par la protection par brevets (puisque les occidentaux déposent 25% des brevets chinois).

Une réponse pourrait être que les étrangers ne connaissent pas ce système et ne songent donc pas à l’utiliser. Une autre réponse serait qu’ils le considèrent comme un « brevet factice », qui ne sert à rien.

C’est dommage.

D’une part parce que ce titre n’est pas factice. D’autre part parce que, quand-bien même il serait considéré comme factice, il resterait utile.

Rappelons que les chinois déposent majoritairement des modèles d’utilité, et que bien des sociétés étrangères pourraient témoigner que ces modèles d’utilité chinois ont des côtés « empêcheurs de tourner en rond » : même si l’on est souvent convaincu qu’ils ne sont pas valables, ils laissent planer des doutes, une peur d’une sentence inattendue en cas d’action en contrefaçon lancée par son titulaire.

Aussi, ne laissons pas trop vite passer les opportunités de déposer des modèles d’utilité. Songeons donc cet outil comme une voie de protection parallèle ou alternative à celle des brevets d’invention.