« Patent linkage » : première affaire conclue par la Cour suprême chinoise
Photo from Christine Sandu on Unsplash

« Patent linkage » : première affaire conclue par la Cour suprême chinoise

Pour rappel,  la Chine a établi sa propre version du système de « patent linkage » à l’occasion de la 4e révision de la loi sur les brevets (entrée en vigueur le 1er juin 2021) en introduisant l’article 76 (voir notre article : « Patent linkage » : aperçu du nouveau système chinois).

Selon ce nouvel article, en cas de différend dans le cadre du processus d‘examen et d’approbation de la commercialisation d‘un médicament générique, les parties impliquées (le titulaire du brevet concerné, le détenteur de l’AMM du médicament princeps lié au brevet ou une partie intéressée et le génériqueur) peuvent demander, soit à la Cour (voie judiciaire), soit à la CNIPA (voie administrative), de statuer sur la question de savoir si la solution technique relative au médicament pour lequel l’enregistrement est demandé tombe dans la portée de protection du brevet concerné. La NMPA (National Medical Product Administration) peut alors, dans le délai prescrit, prendre une décision sur la suspension de l’approbation de l’enregistrement du médicament concerné, conformément à la décision du tribunal ou de la CNIPA.

Afin d’assurer la bonne exécution des dispositions de cet article, en juillet 2021, les tribunaux, la NMPA et la CNIPA ont successivement publié des mesures d’exécution ou des interprétations judiciaires, comprenant notamment les mesures d’exécution du mécanisme de règlement précoce des différends relatifs aux brevets pharmaceutiques (à l’essai), émises conjointement par la CNIPA et la NMPA et entrées en vigueur le 4 juillet 2021 (ci-après « Mesures d’exécution ») .

Dans le cadre du nouveau régime, la NMPA a également mis en place une plateforme chinoise d’enregistrement d’informations sur les brevets liés aux médicaments commercialisés (ci-après « la plateforme »,  équivalente à la combinaison de l’Orange Book et du Purple Book aux États-Unis).

Suite à l’établissement de ce régime et sans surprise, des différends du type décrit dans l’article 76 de la loi ont eu lieu les uns après les autres, le premier conclu étant celui entre Chugai Pharmaceutical Co., Ltd (le titulaire du brevet chinois concerné et aussi le détenteur de l’AMM du médicament princeps lié à ce brevet, le plaignant en première instance et l’appelant en deuxième instance) et Wenzhou Haihe Pharmaceutical Co., Ltd (le demandeur de l’enregistrement d’un médicament générique, le défendeur en première instance et l’intimé en deuxième instance). Dans cet article, nous allons analyser ce premier cas en récapitulant les points intéressants et les principaux enseignements à en tirer.

I. Informations de base sur le brevet et le médicament en question

Le brevet en question :

  • numéro de brevet : ZL200580009877.6
  • numéro de publication : CN1938034B
  • titre d’invention : Préparation d’ED-71
  • date de dépôt : le 7 février 2005
  • date de délivrance : le 8 décembre 2010

Le brevet tel que délivré comprend sept revendications, dont seule la revendication 1 est  indépendante. Les revendications sont reproduites ci-après de manière simplifiée pour faciliter la compréhension des non-chimistes :

1.A preparation comprising:

(1) …;

(2) …; and

(3) an antioxidant,

wherein….

2.The preparation according to claim 1, wherein the antioxidant is one selected from the group consisting of A, B, C and D.

3-7 (omises)Ce brevet a été l’objet, en 2021, en première instance, d’une action en nullité lancée par deux sociétés pharmaceutiques chinoises. Durant la procédure d’invalidation de brevet, une des caractéristiques de la revendication 2 a été ajoutée à la revendication 1 et la revendication 2 a été supprimée. Le nouveau jeu de revendications comporte désormais six revendications qui s’énoncent comme suit :

1.A preparation comprising:

(1) …;

(2) …; and

(3) an antioxidant, the antioxidant is A,

wherein….

2-6 (omises).

Le médicament princeps lié à ce brevet :

  • nom du médicament : Eldecalcitol Soft Capsules
  • forme de dosage : capsule
  • spécification : 0,75μg
  • n° d’agrément :  HJ20200058

Le médicament générique faisant l’objet de la demande de l’AMM porte le même nom que le médicament princeps, avec la même forme de dosage et la même spécification.

II.  Principaux événements de cette affaire (listés dans l’ordre chronologique)

Le 13 juillet 2021, les informations relatives au brevet en question, enregistrées sur « la plateforme », ont été rendues publiques. D’après ces informations, le médicament commercialisé est lié aux revendications 1 à 7 (telles que délivrées), et le type de brevet est un brevet de composition contenant un principe actif d’un médicament chimique.

Le 16 août 2021, la NMPA a accepté la demande de l’AMM du médicament générique en question déposée par la société Haihe. Lors du dépôt de cette demande, Haihe a fait une déclaration de type 4.2 sur « la plateforme » en affirmant que le médicament générique n’entrait pas dans la portée de protection de la revendication 2 du brevet en question (la revendication 2 telle que délivrée).

Le 8 novembre 2021, la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin a accepté la plainte portée par Chugai dans le cadre du « patent linkage » à l’encontre de Haihe. Le plaignant demandait à la Cour de statuer que le médicament générique en question entrait dans la portée de protection des revendications 1 à 6 telles que modifiées dans la procédure d’invalidation du brevet. Attention ! Dans ce type de procès, il ne s’agit pas de savoir si les actes du génériqueur constituent une contrefaçon du brevet, mais uniquement de savoir si le brevet couvre le médicament générique faisant l’objet de la demande de l’AMM. Par conséquent, le tribunal ne soutiendra pas des demandes du plaignant telles que « ordonner au génériqueur de cesser la contrefaçon du brevet », « faire suspendre l’approbation de l’enregistrement du médicament générique », etc.

Le 9 décembre 2021, Haihe a demandé à la NMPA de modifier sa déclaration de sorte qu’elle ne porte plus sur la revendication 2 mais sur les revendications 1 à 7, mais la NMPA n’a pas donné son accord.

Le 30 décembre 2021, la CNIPA a rendu une décision d’invalidation (n° 53498) contre le brevet en question : celui-ci est invalidé dans son intégralité (c’est-à-dire que toutes les revendications ont été jugées non brevetables). Durant la première instance de l’affaire devant la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin, on était, en effet, encore dans le délai d’appel de la décision d’invalidation de la CNIPA (voir plus haut).

Le 10 mars 2022, s’agissant de secrets commerciaux, la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin a procédé à l’audience à huis clos.

Le 15 avril 2022, la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin a rendu son jugement ((2021) Jing 73 Min Chu n° 1438) : le médicament générique en question n’entrait pas dans la portée de protection du brevet en question et la demande du plaignant a donc été rejetée.

Le 23 mai 2022, la Cour suprême a accepté le recours formé par le titulaire du brevet.

Le 5 juillet 2022, la Cour suprême a tenu une audience à huis clos en raison des secrets commerciaux.

Le 5 août 2022, la Cour suprême a rendu son jugement en deuxième instance  ((2022) Zuigaofa  Zhi Min Zhong n° 905), qui était définitif et exécutoire : le recours a été rejeté et le jugement initial confirmé.

III. Points remarquables dans cette affaire

3.1 La durée cumulée des première et deuxième instances n’est que de 270 jours.

Nous remarquons que la durée cumulée des première et deuxième instances de la présente affaire n’est que de 270 jours, du 8 novembre 2021, où l’affaire a été acceptée par la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin, au 5 août 2022, où la décision finale a été rendue par la Cour suprême. Cette dernière date est très proche du 8 août 2022 correspondant à la période d’attente de neuf mois applicable uniquement aux médicaments chimiques. Ce n’est pas une coïncidence, mais le résultat des efforts des juges.

À l’avenir, à mesure que le nombre d’affaires de ce type augmentera, il n’est pas certain que les tribunaux soient en mesure de garantir un jugement définitif dans un délai aussi court, mais, au moins dans cette première affaire, nous constatons les grands efforts des juges et leur fort soutien au mécanisme de résolution rapide des litiges relatifs aux brevets pharmaceutiques en Chine.

3.2 Quelle solution technique doit être comparée avec le brevet en question ?

Pour déterminer si la solution technique d’un médicament générique entre dans le champ de protection d’un brevet, il faut d’abord répondre à une question : entre la solution technique décrite dans la demande d’AMM déposée par le génériqueur auprès de la NMPA et celle réellement mise en œuvre par le génériqueur, laquelle doit être prise en compte ? En effet, le génériqueur a, a priori, l’obligation de garantir la cohérence de ces deux solutions en respectant les lois et les réglementations relatives à la gestion des médicaments et la question ne devrait pas se poser. Cependant, dans la présente affaire, Chugai a mis en doute l’authenticité des ordonnances faisant l’objet de la demande d’AMM déposée par Haihe et a soupçonné une incohérence entre ces ordonnances et celles effectivement utilisées pour l’essai clinique.

À cet égard, la Cour suprême s’est prononcé comme suit :

– lorsqu’on juge si la solution technique d’un médicament générique entre dans le champ de protection d’un brevet, il faut en principe se baser sur les documents déposés par le génériqueur auprès de la NMPA afin d’obtenir l’AMM pour effectuer une comparaison et porter un jugement ;

– si la solution technique effectivement mise en œuvre par le génériqueur est différente de celle déclarée auprès de la NMPA, le génériqueur doit assumer ses responsabilités juridiques, conformément aux lois et règlements pertinents sur la surveillance et la gestion des médicaments ;

– si le breveté ou la partie intéressée considère que la solution technique effectivement mise en œuvre par le génériqueur constitue une contrefaçon, il peut engager une action judiciaire distincte pour violation du droit de brevet ;

– par conséquent, la question de savoir si la solution technique réellement mise en œuvre par le génériqueur est la même que celle déclarée dans les documents déposés auprès de la NMPA n’entre en général pas dans le cadre d’examen de l’affaire.

Les tribunaux de première et deuxième instances ont tous confirmé que l’objet de la comparaison en l’espèce était la solution technique déclarée par le génériqueur auprès de la NMPA afin d’obtenir l’AMM, dans laquelle on utilisait *** (le nom de la substance a été remplacé par *** dans les décisions publiées s’agissant de secrets commerciaux) comme antioxydant, selon les preuves déposées par le défendeur Haihe. En outre, la Cour suprême a précisé que *** n’est pas un concept générique de l’antioxydant « A » énoncé dans la nouvelle revendication 1 du brevet en question, mais un antioxydant spécifique parallèle à celui-ci.

3.3 La déclaration faite par le génériqueur contre le brevet en question n’était pas conforme aux exigences et le génériqueur n’a pas rempli son obligation de notification au breveté.

Pour rappel, selon l’article 6 des « Mesures d’exécution », le génériqueur demandant une AMM pour un médicament générique a l’obligation de consulter « la plateforme » et de déposer une déclaration vis-à-vis de chacun des brevets pertinents qu’elle a identifiés.  Il existe quatre types de déclaration, dont la quatrième :

Le brevet pertinent doit être invalidé (type 4.1), ou le médicament générique n’entre pas dans la portée de protection de ce brevet (type 4.2).

L’article 6 prévoit en outre que:

– le génériqueur est responsable de l’authenticité et de l’exactitude de la déclaration ;

– dans les 10 jours ouvrables suivant l’acceptation de la demande de l’AMM pour le médicament générique, la NMPA doit publier les informations relatives à la demande et la déclaration correspondante sur « la plateforme » ;

– le génériqueur doit communiquer la déclaration et les documents à l’appui de celle-ci au détenteur de l’AMM du médicament princeps lié au brevet contre lequel la déclaration a été faite ;

– en cas de déclaration de type 4.2, la base de la déclaration doit inclure un tableau comparatif de la solution technique du médicament générique avec les revendications pertinentes du brevet concerné et les informations techniques pertinentes ; et

– en plus des documents en papier, le génériqueur doit également envoyer  la déclaration et les documents à l’appui de celle-ci à l’adresse électronique enregistrée sur « la plateforme » par le détenteur de l’AMM du médicament princeps et conserver les traces correspondantes.

Les dispositions ci-dessus ne font qu’énoncer les exigences relatives au brevet contre lequel le génériqueur doit faire une déclaration et l’obligation de ce dernier de la notifier au détenteur de l’AMM du médicament princeps. Toutefois, elles ne précisent pas sur quelles revendications spécifiques du brevet doit se faire la déclaration, ni  la responsabilité juridique que le génériqueur doit assumer en cas de non-respect de ces dispositions.

Dans la présente affaire, le génériqueur, Haihe, n’a fait qu’une déclaration de type 4.2 contre la revendication dépendante 2 telle que délivrée. De plus, il n’en a pas prévenu le breveté dans le délai prescrit.

Concernant la déclaration non-qualifiée

A cet égard, la Cour suprême a estimé que :

– lorsqu’un génériqueur fait une déclaration, il doit normalement tenir compte de la correspondance entre le médicament générique et les revendications du brevet publié sur « la plateforme », c’est-à-dire si le médicament générique a mis en œuvre la solution technique de ces revendications ;

– dans le cas d’une déclaration de type 4.2 dont l’essentiel consiste à affirmer que la solution technique du médicament générique faisant l’objet d’une demande d’AMM n’entre pas dans le champ de protection du brevet contre lequel la déclaration a été faite, afin de garantir l’authenticité et l’exactitude de la déclaration, le génériqueur doit, en principe, faire une déclaration contre la revendication ayant la plus grande portée de protection et correspondant au médicament copié. Lorsqu’il existe plusieurs revendications indépendantes auxquelles le médicament princeps correspond, le génériqueur a l’obligation de faire une déclaration contre chacune d’entre elles ;

– la société Haihe n’a fait qu’une déclaration contre la revendication 2 et n’a demandé à la NMPA de modifier cette déclaration erronée qu’après que Chugai a lancé ce procès, ces comportements étant inappropriés et non justifiés ;

– étant donné que la portée de protection de la revendication originale 2 était plus grande que celle de la nouvelle revendication indépendante 1 modifiée en y ajoutant une partie des caractéristiques de la revendication 2 pendant la procédure d’invalidation, la portée de protection de la revendication faisant l’objet de la déclaration de Haihe couvrait en fait la portée de protection du brevet modifié. Par conséquent, d’un point de vue pratique, même si la déclaration de type 4.2 faite par Haihe était inappropriée, elle n’a pas porté atteinte aux droits substantiels et contentieux de Chugai.

Concernant l’obligation de notification

A cet égard, la Cour suprême a considéré que :

– il n’existait aucun obstacle à ce que Haihe communique à Chugai la déclaration et les documents à l’appui de celle-ci puisque le nom de l’interlocuteur de Chugai et ses coordonnées ont été enregistrés et publiés sur « la plateforme ». Malgré cela, Haihe n’a soumis les documents pertinents qu’après que Chugai a intenté une action en justice, sans explication suffisante et raisonnable, ce qui n’était pas conforme à l’article 6 des « Mesures d’exécution ».

Pour les deux points ci-dessus, la Cour suprême a conclu que les comportements sus-cités de Haihe étaient effectivement inappropriés, ce qui a été signalé et reproché. Cependant, comme le reproche ne fait pas partie des modes d’assumer des responsabilités civiles, la Cour suprême n’a pas soutenu la demande de reproche de Chugai.

3.4 Le brevet a été invalidé mais l’examen de fond a été effectué par les tribunaux.

Comme le montre la liste chronologique des événements de l’affaire dans la partie II plus haut, le brevet en question a été invalidé intégralement par la CNIPA en première instance, mais les tribunaux ont tout de même procédé à un examen de fond, contrairement à ce qui se fait dans la grande majorité des litiges en contrefaçon de brevet. En effet, dans la grande majorité des affaires de contrefaçon dans lesquelles le brevet en question a été invalidé, le plaignant retire la plainte ou le tribunal la rejette sans procéder à un examen de fond (bien sûr, si la décision d’invalidation rendue par la CNIPA est ultérieurement renversée par le tribunal, le breveté pourra intenter une action distincte), afin de raccourcir le cycle des litiges en matière de brevets.

Voici les explications des tribunaux dans le cadre de la présente affaire : bien que le brevet en question ait été invalidé par la CNIPA, la décision d’invalidation était encore dans le délai d’appel à l’époque ; de plus, tant le plaignant que le défendeur ont fait valoir qu’un examen de fond devait avoir lieu et les deux parties avaient l’intention de régler le différend sur le brevet par le biais de cette action en justice avant que le médicament générique en question ne soit commercialisé ; enfin, étant donné que Haihe a uniquement argumenté que le médicament générique était différent de la solution technique du brevet, la stabilité de ce dernier n’affectait pas nécessairement le jugement des questions en litige dans cette affaire.

3.5 Le *** utilisé comme antioxydant dans le médicament générique ne constitue pas une caractéristique équivalente à « A » dans le brevet

Dans cette affaire, le tribunal de première instance a jugé que le *** utilisé dans le médicament générique en question ne constituait pas une caractéristique technique équivalente à la substance « A » du brevet en question, en se basant sur le principe de donation, et la cour de deuxième instance est parvenue à la même conclusion, mais à partir du principe d’estoppel.

Pour rappel, l’article 5 de l' »Interprétation de la Cour populaire suprême sur plusieurs questions concernant l’application de la loi dans le procès des litiges en contrefaçon de brevet » (ci-après « Interprétation I« ) constitue la base légale du principe de donation et prévoit que le tribunal populaire ne soutient pas le comportement suivant : une solution technique qui est seulement décrite dans la description ou les dessins, mais qui n’est pas énoncée dans les revendications, est incluse dans l’étendue de la protection du droit de brevet par le breveté dans un litige en contrefaçon de brevet.

Quant au principe d’estoppel, il est étayé par l’article 6 de l' »Interprétation I » qui prévoit que le tribunal populaire ne soutient pas le comportement suivant : une solution technique abandonnée par le demandeur de brevet ou le breveté au moyen des modifications des revendications ou de la description ou bien des observations déposées au cours de la procédure de délivrance ou d’invalidation du brevet est à nouveau incluse par le breveté dans l’étendue de la protection du droit de brevet dans un litige en contrefaçon de brevet.

Voici le raisonnement de la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin en première instance :

– en ce qui concerne le choix de l’antioxydant, le paragraphe [0029] de la description du brevet en question indique : « L’antioxydant est de préférence l’un des éléments  E, B, F, A, G, H, I, J, C et D, plus préférablement l’un des éléments  A, B, C et D, et le plus préférablement A » (note de l’autrice : pour la bonne compréhension des non-chimistes, chaque substance dans cette phrase a été remplacée par une lettre de manière simplifiée) ;

– à partir de ce paragraphe [0029], on peut voir que la solution technique consistant à utiliser *** comme antioxydant a déjà été énoncée dans la description du brevet en question (note de l’autrice : on peut en déduire que *** est l’un des B-J), mais pas couverte par la revendication 1 du brevet (note de l’autrice : à savoir la revendication 1 telle que modifiée dans la procédure d’invalidation) ;

– en conséquence, selon le principe de donation, le *** utilisé dans le médicament générique en question ne constitue pas une caractéristique équivalente à la substance « A » employée dans le brevet en question.

De plus, la Cour a souligné que le principe de donation consistait à protéger des attentes raisonnables du public basées sur l’effet de publication du texte de brevet, et que l’absence de l’intention subjective du breveté de faire une donation et le fait que la revendication indépendante initiale ne comportait pas *** n’avaient pas d’impact sur l’application de ce principe dans la présente affaire.

En deuxième instance, Haihe a prétendu que, que ce soit à partir du principe de donation ou du principe d’estoppel, l’antioxydant *** utilisé dans le médicament générique en question ne devrait pas être considéré comme constituant une caractéristique équivalente à la substance « A » énoncée dans le brevet.

En réponse à cela, la Cour suprême a confirmé que les deux principes pouvaient constituer des limitations à l’application de la doctrine des équivalents et visaient tous les deux à établir un équilibre raisonnable entre la protection des intérêts du breveté et la sauvegarde des intérêts publics. En l’espèce, étant donné que Haihe a demandé l’application du principe d’estoppel sur la base de l’action de Chugai d’apporter des modifications aux revendications et a demandé en outre l’application du principe de donation sur la base du texte du brevet résultant de cette action de modification, la Cour suprême a décidé de se prononcer d’abord sur la première demande.

Voici le raisonnement principal de la Cour suprême à ce sujet :

– les modifications (ajout d’une partie des caractéristiques additionnelles de la revendication initiale 2 dans la revendication 1 et suppression de la revendication initiale 2) apportées aux revendications pendant la procédure d’invalidation consistaient en effet à abandonner la solution technique de la revendication initiale 1 en conservant une des solutions techniques parallèles de la revendication initiale 2 de sorte que la solution technique de la revendication indépendante a été changée de celle permettant l’utilisation de n’importe quel antioxydant à celle consistant à protéger uniquement l’utilisation de la substance « A » comme antioxydant ;

– en outre, la description du brevet en question a énuméré une pluralité  d’antioxydants, dont la substance « A » et *** ;

– à partir de ces deux points, l’homme du métier pouvait savoir qu’en modifiant les revendications, Chugai a fait un choix clair de la solution technique particulière qu’elle cherchait à protéger, et que le fait d’avoir choisi un seul antioxydant « A » parmi les quatre antioxydants énumérés parallèlement dans la revendication dépendante initiale 2 a montré en outre que Chugai entendait spécifiquement et clairement abandonner la solution technique consistant à utiliser la substance *** ;

– de plus, Chugai n’a pas donné d’explication raisonnable sur le fait que  la substance *** a été exclue de la portée de protection lors des modifications, ni fait valoir que les modifications n’étaient pas réalisées pour maintenir la validité du brevet ;

– ainsi, le principe d’estoppel était applicable à la présente affaire et permettait d’arriver à la conclusion selon laquelle le *** utilisé dans le médicament générique en question ne constitue pas une caractéristique équivalente à la substance « A » employée dans le brevet en question.

Etant donné que le principe d’estoppel était suffisant pour obtenir la conclusion ci-dessous, la Cour suprême a considéré comme inutile de commenter l’application du principe de donation.

IV. Nos commentaires et recommandations

4.1  Pour des différends entrant dans le cadre du système de « patent linkage », outre le recours judiciaire, le recours administratif est également disponible, c’est-à-dire qu’il est possible de s’adresser à la CNIPA pour obtenir une décision administrative, mais l’une ou l’autre des parties peut toujours intenter un appel devant le tribunal contre cette décision. Dans la présente affaire, les première et deuxième instances ont duré au total 270 jours, ce qui est très proche des 9 mois de la période d’attente. Nous pouvons imaginer que, dans le cas où une décision administrative est d’abord demandée à la CNIPA, la date d’obtention de la décision effective (généralement celle de la cour de seconde instance) sera très probablement en dehors de la période d’attente de 9 mois, qui est fixe et ne change pas en fonction de la voie de recours, comme indiqué clairement par la CNIPA. Par conséquent, afin d’empêcher efficacement l’obtention de l’AMM pour le médicament générique le plus tôt possible, nous recommandons vivement au titulaire du brevet et au détendeur le l’AMM du médicament princeps de privilégier le recours judiciaire.

4.2 Pour un différend dans le cadre du système de « patent linkage », il faut comparer la solution technique déclarée par le génériqueur auprès de la NMPA afin d’obtenir l’AMM pour son médicament générique (et non celle réellement mise en œuvre par le génériqueur) avec le brevet en question. Par conséquent, le génériqueur est tenu de soumettre uniquement des documents et informations relatives à la solution déclarée. Néanmoins, nous rappelons que la loi chinoise exige la cohérence entre la solution déclarée et la solution réelle, faute de quoi, le génériqueur assumera des responsabilités juridiques.

4.3 Comme nous l’avons vu au point 3.3, il n’existe actuellement aucune sanction pour les génériqueurs qui ne respectent pas pleinement leurs obligations en matière de déclaration vis-à-vis des brevets et de notification, ce qui fait que les tribunaux ne peuvent qu’évaluer leurs fautes, sans pouvoir les tenir pour responsables du non-respect de leurs obligations en vertu de la loi. Sans aucun doute, il s’agit d’une faille du système chinois de « patent linkage ». Nous espérons qu’il y sera remédié dans l’avenir. Malgré ce défaut, nous recommandons vivement au titulaire du brevet / détenteur de l’AMM du médicament princeps et au génériqueur de se conformer de bonne foi aux « Mesures d’exécution ».

4.4 Dans le cas d’une déclaration de type 4.2, celle-ci doit se faire contre chacune des revendications indépendantes du brevet auxquelles le médicament princeps correspond.

4.5 Dans un litige entrant dans le cadre du « patent linkage », l’invalidité du brevet n’entraîne pas forcément le rejet de la plainte, et les parties peuvent demander au tribunal de poursuivre la procédure en procédant à un examen de fond.

4.6 Il convient d’être prudent lors de la rédaction du brevet et de la modification des revendications dans les procédures d’examen et d’invalidation du brevet afin d’éviter l’abandon forcé de certaines solutions techniques en raison de l’application des contraintes dont les principes de donation et d’estoppel dans un éventuel litige, ce qui entraînerait l’impossibilité d’appliquer la doctrine des équivalents.

Article rédigé par Mei TAO