Une nouvelle interprétation judiciaire de la Cour suprême pour unifier la pratique
La Cour suprême de Chine a récemment apporté une clarification importante sur la question, longtemps débattue, du rôle et de la valeur juridique des rapports d’évaluation de brevets dans les litiges de contrefaçon.
Ces rapports, exigés pour les brevets de modèles d’utilité et de dessins et modèles, jouent un rôle central dans le système chinois : ils servent à apprécier la stabilité du brevet avant toute action en justice, ces types de brevets étant délivrés sans examen de fond (voir notre précédent article sur les usages des rapports d’évaluation dans les différents scénarios d’exercice des droits de brevet).
Cependant, dans la pratique, les tribunaux chinois divergeaient quant à leur portée : certains rejetaient la plainte systématiquement en cas de rapport défavorable, tandis que d’autres considéraient ces rapports comme de simples éléments de preuve.
Pour mettre fin à ces divergences, la « Réponse de la Cour suprême sur les questions juridiques relatives à l’application de la loi dans les affaires impliquant des rapports d’évaluation de brevets » a été adoptée par la Commission de jugement de la Cour suprême chinoise le 18 juillet 2025 et est entrée en vigueur le 1ᵉʳ août 2025.
Contexte
Conformément à la loi chinoise sur les brevets, les brevets de « modèle d’utilité » et de « dessin et modèle » sont délivrés sans examen de fond. Dans ce contexte, le système du rapport d’évaluation de brevet a été établi. Ce rapport vise à rappeler aux titulaires de brevet qu’ils doivent évaluer la stabilité de leur titre avant d’intenter une action, tout en fournissant aux tribunaux et aux autorités administratives un outil d’appréciation essentiel dans le traitement des litiges de contrefaçon de brevets.
Cependant, la qualification juridique et la valeur probante de ce rapport d’évaluation demeuraient sujettes à controverse, certains tribunaux rejetant des actions en contrefaçon au seul motif d’un rapport d’évaluation défavorable. Ainsi, dans le « Résumé du Rapport annuel sur les questions d’application de la loi dans les affaires de propriété intellectuelle des tribunaux nationaux (2024) » (ci-après dénommé « Résumé du Rapport annuel (2024) ») publié par la Cour suprême en avril 2025, cette question figurait en tête des 43 questions d’application de la loi identifiées parmi des affaires de propriété intellectuelle jugées en 2024 par les tribunaux nationaux. Cette incertitude a conduit la Cour suprême à intervenir pour unifier la pratique.
Évolution du cadre juridique
Article 57 alinéa 2 (version 2000)
Introduit pour la première fois en 2000, l’article 57 alinéa 2 de la loi chinoise sur les brevets (version 2000) prévoyait que, dans les litiges portant sur un modèle d’utilité, le tribunal ou l’administration pouvait exiger du titulaire la production d’un rapport d’évaluation établi par l’autorité administrative nationale des brevets.
« Lorsqu’un litige de contrefaçon de brevets porte sur un brevet de modèle d’utilité, le tribunal ou l’autorité chargée de l’administration des brevets peut exiger du titulaire de brevet qu’il présente un rapport de recherche établi par l’autorité administrative de la PI relevant du Conseil d’État.«
Ce rapport s’appliquait alors exclusivement aux brevets de « modèle d’utilité », en raison de leur manque de stabilité suffisante, dû à la délivrance du titre sans examen de fond.
Bien qu’établi par l’autorité administrative centrale de brevet, ce rapport n’avait pas valeur de décision administrative et ne pouvait faire l’objet d’aucun recours. Il équivalait plutôt à un rapport d’examen, et ses conclusions étaient destinées à servir de référence au titulaire de brevet.
Article 66 alinéa 2 (version 2008)
La révision de la loi de brevet en 2008 a élargi ce mécanisme aux brevets de dessins et modèles et a précisé que le rapport devait résulter d’une recherche, analyse et évaluation du brevet concerné.
« Lorsqu’un litige de contrefaçon de brevets porte sur un brevet de modèle d’utilité ou de dessin et modèle, le tribunal ou l’autorité chargée de l’administration des droits de brevet peut exiger du titulaire de brevet ou d’une personne ayant un intérêt légitime qu’ils présentent un rapport d’évaluation établi par l’autorité administrative de la PI relevant du Conseil d’État après avoir effectué une recherche, une analyse et une évaluation sur le modèle d’utilité ou le dessin et modèle concerné ; ce rapport sert de preuve pour juger et traiter un litige de contrefaçon de brevets. Le titulaire de brevet, la personne ayant un intérêt légitime ou la personne accusée de contrefaçon au droit peuvent spontanément fournir le rapport d’évaluation de brevet. »
Ainsi, l’établissement du rapport est passé d’une simple recherche, ne portant que sur l’inventivité, la nouveauté et l’applicabilité industrielle du droit de brevet à une combinaison de « recherche, analyse et évaluation », couvrant l’examen de toutes les raisons de rejet. Le texte a également confirmé que le rapport constituait une preuve (à comprendre une preuve parmi d’autres) pour juger et traiter un litige de contrefaçon de brevet.
Divergences d’interprétation judiciaire
Dans la pratique judiciaire, les tribunaux de première instance chargés de juger les litiges de contrefaçon de brevets ont des interprétations divergentes, certains tribunaux allant jusqu’à rejeter la plainte lorsqu’un rapport concluait que le brevet ne remplissait pas les conditions légales de validité, estimant que le droit manquait de stabilité.
Ces divergences ont provoqué une insécurité juridique importante pour les titulaires de brevets.
Position de la Cour suprême
La Cour suprême, saisie d’une demande de consultation émanant de la Cour supérieure de la province du Guizhou (demande n° [2024] 1 de la Cour suprême de la province de Guizhou), a décidé d’unifier les critères de jugement.
Ainsi, la Commission de jugement de la Cour suprême a adopté la « Réponse de la Cour suprême sur les questions juridiques relatives à l’application de la loi dans les affaires impliquant des rapports d’évaluation de brevets » (interprétation judiciaire n°[2025] 11, ci-après dénommée « Réponse »). Cette Réponse a été publiée le 30 juillet 2025 et est entrée en vigueur le 1ᵉʳ août 2025. Elle stipule notamment que :
« Conformément à l’alinéa 2 de l’article 66 de la loi chinoise sur les brevets, le rapport d’évaluation de brevet établi par l’autorité administrative centrale de brevets relevant du Conseil d’État constitue un élément de preuve pour les tribunaux dans les affaires de litiges en matière de contrefaçon de brevets. Lorsque le rapport d’évaluation conclut que le brevet en question ne satisfait pas aux conditions de délivrance prévues par la loi chinoise sur les brevets, le tribunal ne peut pas, sur cette seule base, rendre une décision de rejet. Il doit examiner les circonstances spécifiques de l’affaire, en donner une explication juridique et rendre sa décision conformément à la loi. »
La Cour suprême confirme ainsi la position qu’elle avait exprimée dans son Résumé du Rapport annuel (2024).
Conclusion
Cette interprétation judiciaire vise à harmoniser les pratiques judiciaires à travers le pays et à éviter que des rapports d’évaluation négatifs ne deviennent un obstacle automatique à l’action civile. Elle s’applique aux tribunaux nationaux de tous les niveaux. En même temps, elle contribue à garantir que les titulaires de brevet de modèles d’utilité et de dessins et modèles puissent protéger leurs droits légitimes et empêcher les actes de contrefaçon.
Par Xiaoqi YANG, du cabinet Easytimes IP