Imitation de jeux vidéo, les récentes victoires de NetEase en Chine
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Imitation de jeux vidéo, les récentes victoires de NetEase en Chine

Les voies possibles de protection des jeux vidéo par la propriété intellectuelle

Plus d’un demi-milliard, c’est le nombre de personnes qui jouent aux jeux vidéo en Chine (source ici). Le pays est ainsi le deuxième marché mondial de ce secteur (après les Etats-Unis).

Cependant, l’essor du marché des jeux vidéo en Chine s’est accompagné de l’apparition de nombreuses contrefaçons. Face aux contrefacteurs, les développeurs et exploitants de jeux vidéo rencontrent parfois des difficultés pour obtenir gain de cause devant les cours de justice. Une des raisons tient au fait qu’en Chine, comme c’est le cas en France, il n’existe pas de régime juridique spécifique dédié aux jeux vidéo.

Le droit d’auteur est une des voies possibles de protection. Cependant, les jeux vidéo diffèrent des autres œuvres de l’esprit car ils sont constitués d’une multitude d’éléments audiovisuels et de logiciels. Leur complexité et leur caractère particulier en font des œuvres dont la qualification juridique est difficile. Ces dernières années, les autorités chinoises tentent de trouver des solutions afin d’améliorer la protection juridique des jeux vidéo face aux contrefacteurs.

Ainsi, dans deux récentes décisions, la société NetEase, deuxième acteur chinois du secteur, a obtenu gain de cause face à des contrefacteurs, sur la base de fondements juridiques différents.

Dans la première affaire, NetEase a attaqué la société Shenzhen Mini Play pour contrefaçon du jeu vidéo « Minecraft » dont il détient les droits exclusifs d’exploitation en Chine. Il s’agit là d’une affaire typique dans laquelle la Haute Cour de la province du Guangdong a appliqué la loi contre la concurrence déloyale de façon à pallier l’absence de protection par les droits de PI classiques.

Dans la deuxième affaire, NetEase c/Ejoy, la Cour Internet de Canton a pris une décision particulièrement remarquée puisqu’elle a décidé de protéger les règles du jeu de « Infinite Borders » par le droit d’auteur alors même que les règles du jeu sont généralement considérées comme relevant des idées donc ne rentrant pas dans le champ de protection du droit d’auteur.

Dans ces deux affaires, la société NetEase a obtenu la condamnation de son adversaire à des dommages et intérêts d’un montant de 50 millions de CNY (soit plus de 6,3 millions d’euros). Il s’agit d’un des montants les plus élevés prononcés dans le cadre d’affaires en contrefaçon de jeux vidéo. Nous vous proposons de revenir sur les faits et les apports de ces deux décisions de justice.

I. Examen de l’affaire NetEase c/ Shenzhen Mini Play

Pour nos lecteurs qui ne connaîtraient pas « Minecraft », il s’agit d’un jeu vidéo très populaire qui a été développé par la société suédoise Mojang Studios en 2009. En mai 2016, NetEase a acquis les droits exclusifs d’exploitation de ce jeu sur le territoire chinois. Ce même mois, une société de Shenzhen, Mini Play, a lancé un jeu vidéo dénommé « Mini World » qui présente des similarités frappantes avec Minecraft.

En 2019, NetEase a déposé une plainte auprès du tribunal intermédiaire de Shenzhen, accusant Mini World d’avoir copié plusieurs éléments de base du jeu vidéo de Minecraft, ce qui était qualifiable de violation du droit d’auteur et de concurrence déloyale. NetEase a demandé au tribunal d’ordonner à Shenzhen Mini Play de cesser l’infraction et de compenser ses pertes en lui versant une indemnité de 50 millions de yuans (soit plus de 6,3 millions d’euros).

En décembre 2020, le tribunal intermédiaire de Shenzhen a déterminé en première instance que le jeu « Mini World » violait les droits d’auteur de NetEase. Le tribunal a donc ordonné Shenzhen Mini Play de supprimer les éléments contrefaits dans son jeu et d’indemniser NetEase à hauteur de plus de 21,13 millions de yuans. Par la suite, les deux parties ont fait appel auprès de la Haute Cour de la province du Guangdong. Le 30 novembre 2022, cette dernière a rendu sa décision, qui est désormais définitive.

Les éléments graphiques du jeu sont protégeables par le droit d’auteur

Dans sa décision, la Cour a tout d’abord indiqué que les éléments graphiques du jeu sont protégeables par la loi sur le droit d’auteur en tant qu’œuvre audiovisuelle. Cette position de la Cour n’est pas nouvelle et est en ligne avec la dernière révision de la loi chinoise sur le droit d’auteur qui a remplacé la catégorie d’œuvres cinématographiques par celle d’œuvres audiovisuelles. Cette révision avait pour but de permettre de couvrir d’autres styles de production audiovisuelle que le traditionnel cinéma.

Dans cette affaire NetEase c/ Shenzhen Mini Play, la revendication de droit d’auteur n’a cependant pas été retenue par la cour car celle-ci a estimé que la similitude entre les deux jeux vidéo résidait dans la conception des règles du jeu plutôt que dans leur graphisme. On peut en déduire que la Cour exclut la possibilité de protéger les règles du jeu par le droit d’auteur.

Notons également qu’en Chine, les interfaces graphiques (GUI ou graphic user interface) des jeux vidéo peuvent être protégés par un brevet de dessin (design patent). Dans l’affaire en question, cette protection n’a pas été évoquée probablement parce que Minecraft n’a pas fait l’objet de dépôt de brevet de dessin en Chine. Si vous souhaitez davantage d’informations sur la protection des GUI, nous vous invitons à consulter notre précédent article sur le sujet.

Le comportement de Shenzhen Mini Play qualifié d’acte de concurrence déloyale

Pour permettre à NetEase d’obtenir gain de cause, la cour a accepté de protéger les règles du jeu sur la base du droit de la concurrence déloyale. Ainsi, elle explique dans sa décision que les règles du jeu des jeux vidéo peuvent apporter un avantage concurrentiel aux opérateurs du marché.

Selon la cour, le jeu « Mini World » était très similaire au jeu Minecraft en termes de règles de jeu et il existait un chevauchement dans de nombreux détails des éléments des deux jeux. La cour en conclut que Shenzhen Mini Play profitait de la réputation de Minecraft, ce qui constitue un acte de free-riding, s’apparentant à la notion française de parasitisme. Ce comportement portait atteinte aux intérêts de NetEase, ce qui est interdit par la loi chinoise contre la concurrence déloyale.

Des dommages et intérêts d’un montant record

La cour a ordonné à Shenzhen Mini Play de cesser les actes de concurrence déloyale en supprimant 230 éléments du jeu vidéo et l’a également condamné à payer 50 millions de CNY à NetEase.

Comment en est-elle arrivé à prononcer ce montant de dommages et intérêts ? Dans cette affaire, Shenzhen Mini Play a refusé de fournir à la cour les données relatives à ses revenus. La Haute Cour du Guangdong a donc mené des investigations qui lui ont permis de conclure que le jeu « Mini World » était rentable et tirait ses revenus des téléchargements du jeu par les utilisateurs, avec un total cumulé de plus de 3,36 milliards de téléchargements à travers divers canaux et plus de 400 millions d’utilisateurs enregistrés depuis son lancement.

Selon la plateforme de données, le nombre de téléchargements et les données de prix concernant « Mini World » permettaient de calculer un montant de profits supérieur au montant de l’indemnisation réclamée par NetEase, de sorte que la Cour a soutenu sa demande d’indemnisation dans son intégralité.

II. Examen de l’affaire NetEase c/ Ejoy

Dans cette deuxième affaire, NetEase a attaqué en contrefaçon la société Ejoy, filiale d’Alibaba spécialisée dans les jeux vidéo. Elle lui reproche de violer le droit d’auteur de son jeu vidéo de simulation « Infinite Borders » (Shuai Tu Zhi Bin en chinois).

Ejoy a en effet développé et lancé en 2019 le jeu à succès « Three Kingdoms Tactics » qui présente des similitudes avec le jeu de NetEase. Relevons que « Three Kingdoms Tactics » est l’un des jeux vidéo plus profitables d’Alibaba avec des revenus estimés à 1,97 milliard de dollars depuis son lancement.

Dans son argumentaire, NetEase explique que les images dynamiques du jeu « Infinite Borders » constituent dans leur ensemble une œuvre audiovisuelle. Elle indique également que, même si la cour n’accepte pas ce raisonnement, le jeu doit tout de même bénéficier de la protection du droit d’auteur en tant que « réalisation intellectuelle répondant aux caractéristiques de l’œuvre ». Cette catégorie de « réalisations intellectuelles » a été ajoutée à la liste des œuvres pouvant bénéficier de la protection du droit d’auteur lors de la dernière révision de la loi.

Les jeux vidéo ne constituent pas des œuvres audiovisuelles

Dans sa décision, la Cour commence par indiquer que les jeux vidéo ne rentrent pas dans la qualification d’œuvre audiovisuelle. Elle cite le règlement d’application de la loi sur le droit d’auteur selon lequel une œuvre audiovisuelle est constituée d’une « série d’images avec ou sans son d’accompagnement ». La Cour explique que, même si un jeu vidéo peut répondre à cette définition, il existe une différence fondamentale entre les images d’œuvres audiovisuelles qui sont présentées par des dispositifs de projection et les images de jeux vidéo générées par les joueurs qui exploitent des programmes informatiques et appellent des bibliothèques de ressources de jeux.

La protection accordée par la cour aux règles du jeu

La cour indique que les règles du jeu des jeux vidéo et le mécanisme de jeu formé par les connexions entre les règles ne sont pas seulement des idées abstraites. Si l’originalité d’un jeu vidéo se reflète dans la conception, la sélection et la disposition spécifiques des règles de jeu, du matériel de jeu et des programmes de jeu, alors il devrait être reconnu comme une « réalisation intellectuelle répondant aux caractéristiques de l’œuvre » au sens de la loi sur le droit d’auteur.

En l’espèce, la cour estime que les règles du jeu et les mécanisme de jeu d’ « Infinite Borders » remplissent bien ces conditions et que la protection du droit d’auteur doit s’appliquer.

La violation des droits d’auteur

Sur cette base, la cour décide que le jeu commercialisé par Ejoy violait le droit d’auteur de NetEase, en raison de la présence de 79 éléments du jeu vidéo considérés comme contrefaisants les droits de NetEase. La cour a ainsi rendu une injonction ordonnant à Ejoy de supprimer ces éléments de son jeu vidéo. Relevons que cette injonction ne contraint pas Ejoy à stopper la commercialisation du jeu, mais uniquement à supprimer les éléments contrefaisants.

Dans cette affaire, la cour a également condamné à des dommages et intérêts de 50 millions de CNY.

Il convient de noter qu’ici, la Cour Internet de Canton est intervenue en tant que juridiction de première instance et qu’Alibaba a fait publiquement part de sa décision de faire appel. Il est donc possible que la juridiction de deuxième instance ne suive pas le même raisonnement. Si tel est le cas, nous ne manquerons pas de publier un nouvel article à ce sujet.

Cette décision de la Cour Internet n’en reste pas moins intéressante car elle présente une nouvelle approche de la question de la protection des jeux vidéo par le droit d’auteur. Il s’agit là une question épineuse qui génère beaucoup de discussions en Chine. Ainsi, lors de la révision de la loi sur le droit d’auteur de 2020, a notamment été débattue la question de savoir s’il fallait faire des jeux vidéo une catégorie d’œuvres distincte protégée par le droit d’auteur. La version finale du projet de loi n’a finalement pas intégré cette révision.

On voit cependant bien que le législateur chinois tente de moderniser la protection accordée par le droit d’auteur aux nouveaux types d’œuvres de l’esprit de façon à suivre les évolutions technologiques. Les nombreuses affaires de contrefaçon dans le domaine des jeux vidéo permettent également d’enrichir la pratique judiciaire, qui deviendra progressivement plus mature. Il n’en reste pas moins qu’en Chine, comme partout dans le monde, gérer les particularités des jeux vidéo constitue un véritable défi en matière de protection de la propriété intellectuelle.

Lien vers l’annonce de la décision NetEase c/ Shenzhen Mini Play par la Haute Cour de Guangdong (en chinois) ici.

Article rédigé par Fujuan DAI, Audrey DRUMMOND