Affaire Vanilline : des dommages et intérêts historiques
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Affaire Vanilline : des dommages et intérêts historiques

Un montant historique de dommages et intérêts dans une affaire relative à une violation de secret d’affaires

En Chine, le régime du secret d’affaires (appelé également secret de fabrique) permet de protéger des informations qui ne bénéficient pas d’un enregistrement au titre de droit de propriété intellectuelle. Il s’agit d’une voie alternative pour protéger le savoir-faire, couvrant, par exemple, les procédés de fabrication de produits. Pour plus d’information sur le régime du secret d’affaires en Chine, nous vous conseillons de relire notre article questions-réponses.

L’affaire en question concerne justement un procédé de fabrication, celui de la vanilline, qui est produite synthétiquement et largement utilisée dans les arômes, les aliments, les parfums ou les produits pharmaceutiques. Elle implique plusieurs sociétés basées dans le Zhejiang, province au sud de Shanghaï, Jiaxing Zhonghua Chemical (la société plaignante) et le groupe Wanglong. Le nom de Jiaxing Zhonghua ne vous dit probablement rien, il s’agit pourtant du plus grand fabricant mondial de vanilline avec une part de marché mondial de 60 %. Au début de cette affaire, la société Jiaxing Zhonghua est également la détentrice de secrets d’affaires portant sur un nouveau procédé et du savoir-faire technique pour fabriquer de la vanilline.

La décision de la Cour Suprême dans cette affaire a fait beaucoup de bruit en Chine en raison du montant de dommages et intérêts prononcé, un montant record pour un litige relatif à une violation de secret d’affaires. En effet, la Cour a octroyé à la société plaignante une compensation financière de plus de 159 millions de CNY (soit plus de 21 millions d’euros) afin de réparer les pertes économiques de la victime et couvrir les frais raisonnables pour faire cesser la violation de ses droits.

Le scénario est tout à fait classique : en 2010, un ancien employé de la société plaignante vend des informations relatives à la fabrication de vanilline au groupe Wanglong qu’il rejoint comme employé. Par la suite, le groupe Wanglong débute la fabrication de vanilline et très rapidement, ses affaires se développent et la société devient en deux ans le troisième fabricant mondial de vanilline. Les éléments de preuve ont également permis de démontrer que, pendant cette période, la société défenderesse avait directement concurrencé la société plaignante sur le marché de la vanilline en proposant des devis compétitifs aux clients de cette dernière. Le comportement de la société défenderesse a eu pour conséquence de fortement ébranler l’activité de la société Jiaxing qui a perdu des parts de marché et enduré des pertes économiques importantes.

La société plaignante a engagé des poursuites civiles contre le groupe Wanglong, son président et l’ancien employé responsable du vol des secrets (les défendeurs). Dans le cadre de cette procédure, elle a demandé une ordonnance de cessation de la contrefaçon ainsi qu’une indemnisation à hauteur de 502 millions de CNY.

La Haute Cour du Zhejiang, cour de première instance, s’est prononcée en faveur de la société plaignante et a condamné les défendeurs à payer 3,5 millions de CNY (incluant la réparation des pertes et les coûts raisonnables pour faire cesser la violation). Elle a également émis une injonction de cesser la violation à l’encontre des défendeurs. Ni la société plaignante ni les défendeurs n’ont été satisfaits de ce jugement. Ils ont donc fait appel de la décision auprès de la Cour Suprême de Chine.

La Cour Suprême s’est également prononcée en faveur de la société plaignante. Elle a tout d’abord confirmé que les informations en question constituaient des secrets commerciaux puisqu’elles n’étaient pas connues du public, qu’elles avaient une valeur commerciale, et que la société plaignante avait mis en place des mesures de confidentialité correspondantes. Par ailleurs, elle a énoncé que la violation de ces secrets était grave, l’intention du contrefacteur évidente et la durée de la violation longue. Elle a estimé que la création et l’exploitation du groupe Wanglong avaient essentiellement pour but d’utiliser les secrets d’affaires de la société plaignante et qu’à la suite de l’infraction, le prix des produits de cette dernière avait fortement baissé et la part de marché de l’entreprise s’était considérablement réduite.

Par ailleurs, les défendeurs ayant refusé de soumettre leurs livres de comptes, la Cour a choisi de déterminer le montant de l’indemnisation sur la base des bénéfices réalisés par le défendeur, en utilisant le prix et la marge de bénéfice brut du demandeur. Sur cette base, le tribunal a ordonné aux contrevenants de payer une indemnité de 159 millions de CNY, incluant des frais raisonnables de 3,49 millions de RMB pour faire cesser la violation.

Cette affaire présente plusieurs points d’intérêt, que nous vous proposons d’analyser.

1. Le comportement des parties peut être pris en considération lors de la fixation du montant de dommages et intérêts

En ce qui concerne la réparation des dommages, la loi sur la concurrence déloyale prévoit que le montant de l’indemnisation est déterminé en fonction des pertes réelles subies par la victime du fait de la violation. S’il est difficile de calculer les pertes réelles, ce montant est déterminé sur la base des avantages tirés par le contrevenant de l’infraction.

Dans le cas d’espèce, il n’était pas évident de calculer les pertes réelles de la société plaignante liées à la violation des secrets d’affaires. La Cour a pris en considération le comportement des défendeurs, qui ont refusé de fournir leurs livres de compte (qui auraient pu servir à estimer les avantages tirés de la violation). Relevons également que le manque de collaboration des défendeurs ne s’arrêtait pas au refus de fournir les données comptables, ces derniers ayant également refusé d’appliquer l’injonction de cesser la violation émise par la Haute Cour du Zhejiang.

La Cour a décidé d’appliquer un calcul qui leur est défavorable, puisqu’elle a multiplié le volume de vente du groupe Wanglong pendant les années de production par le prix et la marge de profit brut de la société plaignante avant la violation.

2. Quid des dommages et intérêts punitifs ?

En découvrant le montant record de dommages et intérêts prononcé par la Cour suprême, on a pu se demander s’il s’agissait de dommages et intérêts punitifs. En effet, en vertu du Code civil chinois entré en vigueur le 1er janvier 2021, mais également de la dernière modification de la loi sur la concurrence déloyale datant de 2019, il est possible de demander des dommages et intérêts punitifs en cas de contrefaçon de mauvaise foi.

Cependant, conformément à l’interprétation judiciaire de la Cour suprême sur l’application de dommages et intérêts punitifs adoptée le 3 mars 2021, ces dommages et intérêts punitifs doivent être demandés par le plaignant lors de la première instance et la Cour ne peut par elle-même décider de les appliquer. Dans l’affaire Vanilline, initiée en 2018, la société plaignante n’a donc pas pu bénéficier des dispositions prévues par la loi de 2019.

Relevons que, dans une autre affaire connue, l’affaire Carbomer (aussi appelée Kabo), dont le dénouement date de novembre 2020, la Cour Suprême a accordé pour la première fois des dommages et intérêts punitifs pour sanctionner une violation de secrets d’affaires. En l’espèce, la cour a prononcé une indemnisation à hauteur de cinq fois le montant des dommages estimés. Elle a motivé sa décision par une série de facteurs aggravants, tels que le fait que le défendeur ait continué ses actes de violation alors même que son représentant légal faisait l’objet de poursuites pénales ou encore qu’il ait refusé de fournir ses livres de comptes.

Ces deux affaires nous montrent que les tribunaux chinois sont disposés à renforcer la protection des secrets d’affaires et sanctionner sévèrement les contrefacteurs. Toutefois, les mesures de prévention efficaces, tant techniques que juridiques, sont toujours recommandées afin d’éviter la violation des secrets d’affaires. Les mesures de confidentialité, qui peuvent être techniques ou juridiques, doivent être prises à l’égard des employés, des partenaires et du public afin d’éviter la fuite des informations stratégiques de l’entreprise. Par ailleurs, ces mesures de confidentialité peuvent aussi servir de preuves importantes pour permettre de renverser la charge de la preuve, comme nous avons pu le voir dans cet article.

Article rédigé par WU Wa’ai et Audrey DRUMMOND du cabinet LLR China