Quand un détail suffit à violer le droit d’auteur
Photo de Quang Nguyen Vinh (Pexels)

Quand un détail suffit à violer le droit d’auteur

Même partielle et de petite taille, la reprise d’une œuvre dans une marque peut constituer une contrefaçon

L’article 32 de la Loi chinoise sur les marques prévoit qu’une marque ne doit pas porter atteinte aux droits antérieurs d’un tiers, y compris les droits d’auteur. Un titulaire de droit d’auteur antérieur peut ainsi contester une marque, qu’elle soit en cours de demande ou déjà enregistrée, même si elle concerne des produits ou services différents. Nous vous expliquions cette stratégie peu connue mais très efficace dans un précédent article accessible ici.

Pour ce faire, le titulaire du droit d’auteur doit démontrer que :

  1. le déposant de la marque avait accès à l’œuvre protégée ;
  2. la marque contestée présente une similarité substantielle avec l’œuvre protégée revendiquée.

Dans certains cas, l’œuvre protégée ne constitue qu’un élément de la marque contestée. La question se pose alors de savoir si cette présence justifie ou non la qualification de contrefaçon.

Dans une affaire récente, la Cour populaire suprême a confirmé que la proportion de l’œuvre protégée dans la marque contestée n’a aucune incidence sur l’évaluation d’une éventuelle contrefaçon.

Les faits de l’affaire et la procédure

En 2019, la société chinoise Heilongjiang Mangrove Animal Husbandry Ltd (« société Mangrove ») a déposé une demande de marque (voir marque déposée par Mangrove ci-dessous), pour des produits liés aux engrais (classe 1). La marque comporte le caractère chinois « 耕 » (« labourer »), ainsi que la silhouette d’un agriculteur portant un chapeau de paille, tenant une houe et travaillant dans les champs. Cette marque a été enregistrée en mars 2020.

En décembre 2020, un particulier nommé Li Feng, président d’une coopérative agricole, a déposé une demande en invalidation de la marque, invoquant ses droits d’auteur antérieurs sur une œuvre créée en 2016 (voir œuvre créée par Li Feng ci-dessous) et inscrite auprès du Centre chinois de protection de droits d’auteur en 2017.

Marque déposée en 2019 par Mangrove (flèche ajoutée)


Œuvre créée en 2016 par Li Feng

En 2021, l’Office chinois de la propriété intellectuelle (CNIPA) a rejeté sa demande d’invalidation, en estimant que l’image figurant dans la marque contestée n’était pas substantiellement similaire à celle revendiquée au sens du droit d’auteur.

Li Feng a alors engagé une action en justice devant le tribunal de la propriété intellectuelle de Pékin, qui a infirmé la décision de la CNIPA et conclu à une similarité substantielle entre la marque contestée et l’œuvre protégée.

La CNIPA a interjeté appel devant la Haute Cour de Pékin, qui a rendu une décision en sa faveur en février 2024. La Haute cour a jugé que le caractère chinois « 耕 » constituait l’élément distinctif principal de la marque et qu’en comparaison, l’image de l’agriculteur tenant une houe était très petite et peu visible, dominée visuellement par les autres éléments figuratifs.

Elle a donc estimé que la marque contestée et l’œuvre antérieure se distinguaient nettement sur le plan de la structure, de la composition et de l’effet visuel global, écartant ainsi la similarité substantielle.

Décision de la Cour populaire suprême

Li Feng a alors saisi la Cour populaire suprême. Le 24 mars 2025, la Cour a annulé la décision de la Haute Cour de Pékin et confirmé le jugement de première instance, estimant donc que la marque de la société Mangrove violait bien l’œuvre antérieure de Li Feng.

Elle a retenu les éléments suivants :

– L’œuvre antérieure, représentant la silhouette d’un agriculteur avec un chapeau de paille tenant une houe et travaillant aux champs, était esthétique et originale, et constituait donc une œuvre d’art au sens de la loi chinoise sur le droit d’auteur.

– La marque contestée contenait un élément graphique quasiment identique à celui de l’œuvre revendiquée, ce qui établissait une similarité substantielle conformément à l’article 32 de la loi sur les marques.

– L’œuvre protégée avait été enregistrée et rendue publique avant la demande de marque déposée par Mangrove. Ce dernier avait donc eu accès à l’œuvre avant son dépôt.

– La proportion occupée par l’élément graphique dans la marque contestée est sans incidence sur l’évaluation de la contrefaçon.

Commentaires

La décision de la Cour suprême a suscité un débat public important en raison de la proportion très réduite de l’élément contrefaisant dans la marque contestée.

Cependant, cette affaire clarifie que la contrefaçon de droit d’auteur repose sur la reproduction d’une « partie substantielle » de l’œuvre, et non sur la proportion de l’élément copié par rapport au reste de la marque. Même un élément contrefaisant mineur dans une marque peut constituer une contrefaçon.

Relevons que Li Feng avait également déposé l’œuvre en tant que marque en 2017 mais en classe 31, pour des produits considérés comme non similaires aux produits de la classe 1 désignés par la société Mangrove. Ce point met en lumière l’un des avantages majeurs de la protection du droit d’auteur comparée à celle applicable aux marques : le champ de protection du droit d’auteur n’est pas limité aux classes de produits ou services désignés lors du dépôt, mais s’applique de façon transversale.

Par ailleurs, autre point d’intérêt, l’examen de similarité n’est pas le même lorsqu’il s’agit de comparer deux marques ou une marque avec une œuvre protégée par le droit d’auteur. En matière de marque, l’analyse repose sur le critère de la confusion, ce qui implique une appréciation plus souple. En revanche, pour vérifier si une marque est similaire à une œuvre, c’est la similarité substantielle qui est recherchée, et la comparaison est donc plus directe. Comme on a pu le voir dans cette affaire, la Cour suprême a jugé que la reproduction exacte de l’œuvre protégée, même intégrée dans une marque plus complexe, suffisait à caractériser une contrefaçon. Cependant, une analyse fondée uniquement sur le droit des marques, prenant en compte le risque de confusion, aurait pu conduire à une conclusion différente.

Article rédigé par Audrey DRUMMOND