Quels sont les facteurs utilisés par les cours chinoises pour déterminer leur montant ?
L’article 71 de la loi chinoise sur les brevets dispose que « le montant de l’indemnisation pour contrefaçon de brevet doit inclure les frais raisonnables engagés par le titulaire du droit pour faire cesser les actes de contrefaçon ». Dans les litiges en contrefaçon de brevets, la détermination des frais raisonnables constitue un élément clé pour équilibrer les coûts de défense des droits du titulaire du brevet avec la responsabilité du contrefacteur.
Cependant, la définition précise de la portée et du montant de ces frais nécessite une analyse approfondie combinant les dispositions légales, la pratique judiciaire et les circonstances spécifiques de chaque affaire. Cet article se propose d’examiner les principaux facteurs pris en compte pour déterminer le montant des frais raisonnables, en s’appuyant sur des affaires typiques et des textes juridiques.
I. Portée des frais raisonnables
Bien que l’article 71 de la loi sur les brevets fournisse une base juridique pour les « frais raisonnables », ni le règlement d’application de la loi ni les directives d’examen de brevet ne comportent de précisions sur cette notion. En outre, il semble que les interprétations judiciaires pertinentes n’apportent pas davantage de clarté sur les types de coûts inclus dans la notion de « frais raisonnables ».
Toutefois, l’article 17 de « l’interprétation de la Cour suprême sur plusieurs questions concernant l’application de la loi dans les litiges civils relatifs aux marques » stipule que : « les frais raisonnables engagés pour faire cesser les actes de contrefaçon incluent les dépenses liées aux enquêtes et à la collecte de preuves par le titulaire du droit ou son mandataire. Le tribunal peut, sur demande des parties et en fonction des circonstances de l’affaire, inclure dans le montant de l’indemnisation les honoraires d’avocat conformes aux réglementations nationales. »
De plus, les « Réponses du tribunal supérieur de la municipalité de Pékin à plusieurs questions concernant les litiges en matière de droits d’auteur » stipulent que « les frais raisonnables comprennent les honoraires d’avocat, les frais de notaire et d’autres frais liés aux enquêtes et à la collecte de preuves, etc.».
L’article 8.11 des « Directives pour le jugement des affaires de violation du droit d’auteur devant le tribunal supérieur de la municipalité de Pékin » énumère quant à lui de manière plus détaillée les frais raisonnables, qui incluent :
- Les honoraires d’avocat ;
- Les frais de certification par notaire et autres frais d’enquête et de collecte de preuves ;
- Les frais d’audit ;
- Les frais de déplacement ;
- Les frais d’impression des documents juridiques ;
- Autres dépenses raisonnables engagées pour faire cesser les actes de contrefaçon.
Dans la pratique judiciaire, pour les actions en contrefaçon de brevets, les tribunaux acceptent généralement que ces frais soient considérés comme des frais raisonnables, à condition qu’ils remplissent les quatre conditions que nous présenterons plus tard. Il convient toutefois de noter que les frais raisonnables ne se limitent pas à ces dépenses : d’autres frais, tels que les frais d’achat des produits contrefaits avant le début de l’action, peuvent également être inclus dans cette catégorie.
Cependant, les frais engagés par le titulaire du brevet dans le cadre d’une action d’invalidation initiée par le contrefacteur accusé ne sont généralement pas considérés comme des frais raisonnables et ne peuvent donc pas être indemnisés par le contrefacteur. Par exemple, dans l’affaire (2022) SPC Zhiminzhong No. 1165, le tribunal de première instance a reconnu les dépenses de 100 000 CNY engagées par le titulaire du brevet dans la procédure de nullité lancée par le contrefacteur. Cependant, en appel, la Cour suprême a pris une position différente en indiquant que la procédure de nullité est un moyen légal de défense pour le contrefacteur accusé, et qu’elle relève d’une procédure distincte de l’action en contrefaçon. Par conséquent, les frais de 100 000 CNY engagés par le titulaire du brevet dans la procédure de nullité ne peuvent être considérés comme des « frais raisonnables engagées pour faire cesser les actes de contrefaçon ».
En outre, dans le cas où le défendeur dans une action en contrefaçon de brevet est un vendeur de produits, et que ce dernier dispose de preuves suffisantes pour démontrer que les produits contrefaits qu’il a vendus ont une origine légale, il peut être exonéré de la responsabilité des dommages et intérêts (conformément à l’article 77 de la loi sur les brevets). Cependant, étant donné que la vente des produits est tout de même constitutive d’une contrefaçon, les frais raisonnables engagés par le titulaire du brevet pour lutter contre cette contrefaçon doivent être supportées par le vendeur. Cela a été illustré dans l’affaire (2019) SPC Zhiminzhong No. 25, où le titulaire du brevet a réclamé une indemnisation pour des pertes économiques de 1 million CNY, y compris les frais raisonnables. Cependant, faute de preuves suffisantes concernant ces frais raisonnables, la Cour suprême a, après avoir pris en compte les honoraires d’avocat en fonction de la complexité de l’affaire, les frais de certification par notaire et les frais de déplacement standard, décidé à sa discrétion que les frais raisonnables engagés par le titulaire du brevet pour cette affaire s’élevaient à 30 000 CNY.
II. Principes de détermination des frais raisonnables
L’article 1.22 des « Opinions directrices sur la détermination des dommages et intérêts et les critères de jugement pour l’indemnisation statutaire dans les affaires d’infraction à des droits de propriété intellectuelle et de concurrence déloyale (I) » publié en 2020 par la Cour supérieure de Beijing (ci-après dénommé « Opinions directrices et critères de jugement ») a clarifié les principes de détermination des frais raisonnables : « Pour déterminer le montant des frais raisonnables, il convient de prendre en compte de manière globale la véracité et la pertinence des preuves telles que les contrats, les factures et les justificatifs de paiement, ainsi que la rationalité et la nécessité des dépenses correspondantes. »
1. La véracité implique que les frais doivent avoir été réellement engagés. Par exemple, si le contenu ou la forme du contrat de services juridiques ne respectent pas les exigences légales ou s’il viole manifestement les usages et le bon sens, et que le titulaire du brevet ne soumet que le contrat sans justificatifs tels que des factures, des relevés de virement, etc., sans explication raisonnable, il sera difficile de prouver la véracité des frais invoqués. Dans le cas où le titulaire commet des actes malhonnêtes tels que la présentation de faux témoignages, la diffusion de déclarations mensongères ou la fabrication de faits, la cour refusera non seulement de reconnaître la véracité des preuves fournies, mais cela pourrait également constituer une infraction pénale.
2. La pertinence signifie qu’il doit exister une corrélation entre les justificatifs de frais et l’affaire en question. Par exemple, les actes notariés doivent indiquer les informations précises des produits contrefaits, et le contrat de services juridiques conclu avec un avocat doit démontrer la relation entre l’affaire spécifique et le montant exact des honoraires d’avocat, en particulier lorsqu’un même contrat couvre plusieurs affaires.
3. La rationalité désigne le fait que les frais engagés pour la défense des droits doivent être raisonnables conformément aux standards généralement acceptés. Le tribunal évaluera globalement leur adéquation en fonction de la complexité de l’affaire, de la charge de travail, etc. Prenons l’exemple des honoraires d’avocat. L’article 1.23 des Opinions directrices et critères de jugement précise les principes de détermination des honoraires d’avocat : « Pour les affaires simples, avec un objet litigieux modeste et des droits et obligations clairs, si le demandeur réclame des honoraires d’avocat élevés, ceux-ci ne devraient pas être intégralement soutenus. En revanche, pour les affaires techniques, complexes ou exigeant un travail substantiel, les honoraires calculés sur la base d’une facturation horaire peuvent être acceptés. » Il convient de noter que, quel que soit le mode de facturation (forfaitaire ou horaire), celui-ci doit respecter les pratiques professionnelles et ne pas dépasser les plafonds fixés par le « « Règlement sur la tarification des services d’avocat » et l’« Avis sur la normalisation supplémentaire des honoraires d’avocat ». En cas de tarifs excessifs, le tribunal ajustera raisonnablement le montant en fonction des éléments suivants : les barèmes professionnels des honoraires, la complexité de l’affaire, les standards du marché local, et tout autre facteur pertinent.
4. La nécessité signifie que les frais engagés doivent être indispensables à la défense des droits. Par exemple, les coûts liés à la conservation de preuves par acte notarié, à l’expertise technique confiée à un organisme spécialisé, ou à l’achat notarié de produits contrefaits sont généralement considérés comme nécessaires. Cependant, dans certains cas, des titulaires de brevets adoptent des méthodes excessives. Ainsi, dans une affaire, un titulaire a engagé un tiers pour démanteler des équipements contrefaisants de sa propre initiative. Le tribunal a estimé que cette action dépassait les limites de la nécessité, et les frais associés n’ont pas été reconnus comme raisonnables. Quant aux coûts liés à l’envoi de lettres de mise en demeure ou au recours à des sociétés d’enquête, satisfont-ils le critère de « nécessité » et peuvent-ils être inclus dans les frais raisonnables ? À ce jour, aucune position juridique uniforme ne semble exister. En pratique, les tribunaux évaluent ces éléments au cas par cas, en tenant compte des circonstances spécifiques de l’affaire et des preuves présentées.
III. Preuve et évaluation du montant des frais raisonnables
1. Charge de la preuve
Le titulaire du brevet doit prouver la véracité, la pertinence, la rationalité, la nécessité et le montant des frais raisonnables. À défaut de preuves suffisantes, le tribunal peut fixer un montant de façon discrétionnaire.
2. Facteurs de référence
Pour déterminer le montant exact des frais raisonnables, les tribunaux prennent généralement en compte les éléments suivants :
- Complexité des actes de contrefaçon : par exemple, les difficultés liées à l’expertise technique, les coûts liés à la collecte de preuves dans plusieurs régions.
- Nature et circonstances des actes de contrefaçon : le fabricant, en tant que source de la contrefaçon, peut être tenue d’assumer une part plus élevée des frais raisonnables. En revanche, le vendeur, en particulier si sa défense repose sur la source légale, peut, lui, être tenu de supporter une part moindre des frais.
- Standards tarifaires du marché : les honoraires d’avocat, frais de notariat, frais de déplacement, etc., doivent correspondre aux pratiques du marché et la partie dépassant la norme raisonnable peut être rejetée.
- Montant litigieux de l’affaire : lorsque le montant en jeu est élevé, le titulaire peut généralement obtenir une compensation des frais raisonnables plus élevée.
- Degré de malice : en cas de contrefaçon intentionnelle, répétée ou d’obstruction à la production de preuves, les tribunaux peuvent décider d’accorder l’intégralité des frais raisonnables réclamés.
IV. Recommandations
Pour le titulaire du brevet, il est fortement recommandé de conserver soigneusement toutes les preuves liées aux dépenses engagées avant et pendant l’action en contrefaçon de brevet, qui pourraient être considérées comme des frais raisonnables. Ces documents incluent, entre autres, le contrat de mandat conclu avec l’avocat, les notes de travail et les actes notariés indiquant les informations précises de l’affaire accompagnés des factures correspondantes, ainsi que les factures relatives aux frais de déplacement et aux expertises techniques etc. Il faut pouvoir prouver que ces dépenses satisfont aux quatre conditions exposées ci-dessus, à savoir la véracité, la pertinence, la rationalité et la nécessité.
En ce qui concerne la personne accusée de contrefaçon, il est important de bien comprendre les principes de détermination des frais raisonnables et les facteurs à prendre en compte par les cours. Lorsqu’il est établi que la contrefaçon a eu lieu et que le contrefacteur doit supporter les frais raisonnables engagés par le plaignant, il est possible de contester les preuves fournies par ce dernier en s’appuyant sur une ou plusieurs des quatre conditions susmentionnées. Cette démarche peut conduire à ce que la cour les rejette, au moins en partie, afin de réduire le montant des frais raisonnables à payer.
Article rédigé par Mei TAO