La stratégie de la marque Levi’s en Chine

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Photo par Karolina Grabowska from Pexels

L’importance de la surveillance

Le secteur de la mode est l’un des plus visés par les contrefacteurs en Chine, aussi est-il important pour les entreprises de ce secteur de bien définir leur stratégie de protection.

New Balance en a déjà fait les frais, comme nous l’avions évoqué en 2016 dans un article concernant sa marque en caractères chinois.

Nous vous proposons donc d’analyser la stratégie de l’entreprise Levi Strauss & Co. concernant la protection de sa marque figurative « double arcs » cousue sur les poches arrière de ses jeans.

Dépôt de marque

Levi Strauss & Co. (ci-après Levi Strauss) a commencé à utiliser la couture curviligne sur les poches arrière de ses jeans dès le début de sa production aux États-Unis, en 1873. En 1943, le design fut officiellement enregistré en tant que marque dans ce pays.

Par la suite, la société Levi Strauss,  souhaitant poursuivre son développement à l’étranger, a déposé la marque dans plus d’une centaine de pays, parmi lesquels la Chine. Ainsi, la marque figurative a été déposée en Chine sous le numéro 2023725 en classe 25, désignant les vêtements, pantalons, jeans, tee-shirts, chemises, etc. Elle a été approuvée en mai 2005.

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Marque figurative « double arcs » déposée en Chine

Signe protégeable ?

Tout d’abord, on peut se poser la question de savoir si un tel signe remplit les conditions de protection d’une marque en Chine. En particulier, ce signe – qui peut être considéré comme une simple décoration sur un produit – est-il distinctif ? Cependant, comme vous le savez, la distinctivité d’un signe peut s’acquérir par l’usage et c’est probablement ce qui a permis à la société d’obtenir un enregistrement de marque. Grâce à son utilisation continue, intense et de longue durée, ce signe est devenu la caractéristique la plus importante du jean Levi’s et a conduit le public concerné à l’associer aux produits de la société Levi Strauss. Par conséquent, les autorités chinoises ont accepté son enregistrement.

Un exemple de stratégie défensive

Depuis une vingtaine d’années, Levi Strauss développe une stratégie de protection défensive de sa marque, notamment en mettant en place une surveillance étroite des marchés et sites de vente en ligne et en poursuivant les contrefacteurs.

Ainsi, dès 2001, alors même qu’elle ne détenait pas encore de droit de marque sur le territoire chinois, la société décide de poursuivre quatre sociétés devant le tribunal populaire du district de Shanghai Pudong. A l’époque, elle fonde ces actions sur son droit d’auteur et obtient sa première victoire, puisque le tribunal ordonne aux défendeurs de mettre fin à l’infraction et les condamne à payer des dommages et intérêts de 350 000 yuans (environ 42 500 euros).

Quelques années plus tard, grâce à sa surveillance, Levi Strauss identifie une boutique en ligne dénommée Gulanger Clothing Flagship qui vend des jeans dont les poches arrière présentent son design. La société attaque le contrefacteur sur la base de la violation de sa marque et le tribunal de Guangzhou Huangpu lui donne raison en ordonnant le contrefacteur de cesser la contrefaçon, de détruire les produits de contrefaçon et d’indemniser Levi Strauss à hauteur de 50 000 yuans.

Dernière affaire en date : Levi Strauss c/ Guangzhou Lifeng

En 2017, la société Levi Strauss identifie un nouveau contrefacteur, la société Guangzhou Lifeng Textile Company, Ltd. qui fabrique et vend des jeans portant sa marque figurative sur une boutique en ligne de la plateforme TMALL (filiale de TAOBAO). Levi Strauss l’attaque en justice pour contrefaçon de marque.

Dans cette affaire, la société Levi Strauss a fait intervenir des notaires chinois pour prouver la vente des pantalons contrefaits. Il s’agit d’une méthode rapide et peu coûteuse pour se constituer des preuves de la contrefaçon. Concrètement, dans le cas de vente en ligne de produits de contrefaçon, cela consiste à procéder à un achat du produit soupçonné de contrefaçon en présence d’un notaire chinois qui fournira un acte notarié prouvant la vente de produits de contrefaçon.

  • Décision de première instance

La cour de première instance statue en faveur de Levi Strauss et reconnaît la violation de marque. Le défendeur non satisfait de cette décision forme alors un appel devant la Cour de PI de Guangzhou. Il indique notamment dans sa défense ne pas avoir eu l’intention de porter atteinte à la marque de Levi Strauss car il ne savait pas que ce design avait été enregistré.

A noter qu’en Chine, la violation ne dépend pas de l’intention du contrevenant. Si une partie a un comportement illégal et que ce comportement porte atteinte au droit de propriété intellectuelle d’autrui, cela constitue une violation de la propriété intellectuelle. Cependant, pour le vendeur, il peut prétendre qu’il ne savait pas que son comportement enfreignait le droit de propriété intellectuelle d’autrui afin d’éviter de payer des dommages et intérêts, mais il doit prouver qu’il a obtenu les produits contrefaits par des voies légales. Par contre, une telle défense est invalide pour le fabricant. Dans cette affaire, le défendeur était à la fois fabricant et vendeur de produits suspectés de contrefaçon. Il a utilisé cet argument pour tenter de démontrer son absence de mauvaise foi dans la violation.

  • Décision de la Cour de PI de Guangzhou

Un argument qui, de toute évidence, ne convainc pas la Cour de PI de Guangzhou puisque celle-ci rend en septembre 2019 une décision de seconde instance favorable à Levi Strauss. Dans sa décision, elle énonce que la marque utilisée sur les produits du défendeur est visuellement identique à la marque du demandeur, et que, par conséquent, la contrefaçon est déterminée. Le défendeur est condamné à payer 130 000 yuans d’amende (environ 15 800 euros).

Relevons que cette décision de seconde instance intervient moins de deux ans après le début de la procédure, ce qui nous montre la rapidité avec laquelle les tribunaux chinois traitent les litiges en matière de PI.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de la stratégie de Levi Strauss ?

  • Dépôt précoce des titres

Tout d’abord, comme on a pu le voir, la société Levi Strauss a misé sur la prévention puisqu’elle a procédé de façon précoce à l’enregistrement de ses titres en Chine. En effet, le dépôt des marques, droits d’auteur, brevets, etc. auprès des autorités chinoises compétentes offre aux entreprises étrangères d’efficaces recours légaux en cas de contrefaçon. Concernant les marques, nous rappelons qu’il est recommandé de procéder à leur dépôt environ trois ans avant l’entrée sur le marché chinoiscar la procédure d’enregistrement est relativement longue et les dépôts frauduleux encore courants.

  • Surveillance

Une fois sur le marché chinois, la société Levi Strauss a mis en place une surveillance étroite non seulement des marchés notoires dans les villes importantes mais également des sites de vente en ligne afin de repérer d’éventuels produits contrefaits. A ce sujet, et pour les sites de vente en ligne, la collaboration avec les grandes plateformes de vente en ligne telles que TAOBAO ou JINGDONG peut significativement améliorer l’efficacité des efforts de lutte. Ces plateformes sont généralement des alliées motivées car elles sont elles-mêmes responsables en cas de vente de produits contrefaits. Parmi ces sites, nombreux sont ceux qui disposent d’un service dédié à la lutte contre la contrefaçon et de mécanismes simplifiés de signalement. C’est le cas de la plateforme TAOBAO dont nous vous expliquions le mécanisme de dépôt de plainte dans notre article disponible ici.

  • Préservation des preuves

Enfin, comme on a pu également le voir dans cet article, la société Levi Strauss, lorsqu’elle identifie des fabricants ou vendeurs de produits contrefaits, fait le nécessaire pour préserver les preuves de la contrefaçon. Pour cela, elle obtient notamment la rédaction d’actes notariés, ce qui lui permet de se constituer un dossier pour poursuivre les contrefacteurs en justice, obtenir des saisies et le paiement de dommages et intérêts. Une fois ses procès gagnés, elle n’hésite pas à communiquer sur ces victoires, ce qui constitue un bon moyen de dissuasion à l’encontre d’autres contrefacteurs.

Article rédigé par Audrey DRUMMOND